A sa sortie en 1982, ce présent enregistrement fit figure d’événement : il s’agissait d’un des tous premiers CD (édité à l’époque par CBS) et le premier du Barbiere dans ce format, de surcroît basé sur l’édition critique de la Fondazione Rossini di Pesaro. La réalisation n’est pas tout à fait à la hauteur des ambitions. Leo Nucci est un Figaro de facture classique, bien vocalisant mais la voix manque un peu d’ampleur, ce qui rend son chant par moment un peu agressif. Avec le baryton italien, plein d’abattage, on est davantage au théâtre que dans une démonstration de belcanto. Nucci n’offre par ailleurs pas le si naturel de son air, à l’identique de ce qui se pratique courramment. Marilyn Horne en revanche est une Rosina qui concilie à merveille les deux exigences du rôle. Sur le plan vocal, le mezzo américain est tout à fait exceptionnel, possédant à merveille toute la grammaire belcantiste : vocalises, trilles, variations dans les reprises. C’est un vrai festival. La chanteuse sait surtout colorer à merveille (si on ne sait pas de quoi il s’agit, voici une bonne occasion de le découvrir), allégeant ou assombrissant son timbre, accentuant intelligemment chaque mot. Théâtralement, Horne sait rendre compte de toutes les émotions du personnage. Bref : cette Rosina est tout bonnement une des meilleures de tous les temps. On en dira autant du Bartolo d’Enzo Dara, qui reste à mourir de rire même sans les grimaces qu’il se permettait à la scène. L’aigu est un peu court, mais la déclamation est un régal et la science du canto sillabico quasi unique (quand le chanteur doit chanter un maximum de mots en un minimum de temps pour produire un effet comique). Samuel Ramey n’est ici inférieur qu’à lui même : le timbre est somptueux, l’aigu éclatant mais la basse américaine manque de la vis comica dont elle faisait preuve à la scène. Autre déception, le chanteur n’a pas été autorisé à exécuter des variations dans son air : une décision étrange dans le contexte de cet enregistrement. Il en va de même pour Raquel Pierotti, privée d’ornements dans la reprise de l’air de Berta qui, du coup, se révèle sans grand intérêt. Le Conte Almaviva de Paolo Barbacini est l’un des plus douloureux de la discographie, petite voix nasale, peinant dans le haut médium, esquivant quelques suraigus, et vocalisant avec difficulté. Le « Cessa di più resistere », souvent coupé à l’époque, est une double épreuve : pour le ténor, mais surtout pour l’auditeur. Inutile de préciser que les responsables de l’édition critique durent s’arracher les cheveux de la tête ! Un choix artistique incompréhensible. Parmi les petits rôles, on notera le Fiorello de Simone Alaimo (oncle de Nicola Alaimo), promis à une brillante carrière, mais ici plutôt méconnaissable (à sa décharge, on a l’impression que certains chanteurs sont captés par les micros comme s’ils étaient placés derrière les rôles principaux). A la tête des choeurs et de l’orchestre de la Scala, un brin négligents, Riccardo Chailly (que nous avons la faiblesse de trouver bien surfait dans ce répertoire) remue la baguette sans vision particulière de l’oeuvre. En témoigne une temporale symphonique totalement indigente. Fort heureusement, le rythme est heureusement soutenu par des interprètes survoltés.