Même après un enregistrement consacré à Dowland qui lui vaut le Prix Alfred Deller de l’Académie du Disque Lyrique, la réputation de l’élève d’Andreas Scholl n’a beau incontestablement plus être à faire, rien n’est jamais acquis lorsque l’on aborde des œuvres aussi référencées et redoutables d’approche que ces Cantates pour alto de Bach. Plus que jamais, nous avons affaire ici à des micro-Passions. Et qu’il s’agisse de la BWV 170 ou de la 35 que Bach compose quasiment dans la foulée, le soliste affronte seul cette problématique comme nulle part ailleurs présente et prégnante chez Bach : celle d’un savant dosage de ferveur et d’allégresse que l’on pourrait même qualifier d’austérité virtuose. L’antinomie n’est qu’apparente dans la juxtaposition des termes car Damien Guillon en éclaire toute la beauté de l’oxymore.
Le contre-ténor ne fait pas exclusivement montre d’une remarquable technique. Il atteint à ce délicat alliage de justesse dans l’expression d’une souffrance sans ostentation lorsqu’il se fait suppliant et de félicité rayonnante dans la perspective de la délivrance. Guillon ne perd à aucun instant de vue que l’éloquence du phrasé et la maîtrise du souffle restent capitales dans ces cantates sacrées. Timbre et diction sont ici au service d’une tension dramatique qui ne faiblit pas un instant. Sa réussite, il la doit sans doute moins à une vaine recherche de plasticité des nuances dynamiques en tant que fin en soi qu’à une sincérité de l’émission et à une assise vocale sonnant vraies. Crédible mais pas seulement, sa projection reste empreinte d’une profonde probité. Elle ne saurait trahir ce tempérament racé aux arômes puissants sans outrecuidances qui caractérise sa diction. Guillon nous tient en haleine dans des pages pourtant peu propices aux épanchements. Quand tant d’autres solistes en limitent la portée à une simple beauté formelle, lui parvient à habiter ses pages jusqu’à nous les rendre enfin vivantes, familières sans qu’elles se départissent de leur émouvante sacralité.
On n’oublie pas que Damien Guillon conduit en même temps les pupitres du bien nommé Banquet Céleste. Chef et instrumentistes partagent au plus haut point cette sensibilité qui confère au récit de Bach, souplesse et fluidité sans sophistication ni surcharge. La texture en est vive, la pertinence de l’agogique toujours crédible. Leur entente ne se contente pas d’une homogénéité purement technicienne : elle illustre d’authentiques affinités électives pour une musique qui exige plus qu’on ne le pense, engagement et passion.