Dans le « Plácido Domingo Show » en Boccanegra, vu et applaudi aux quatre coins de la planète, voici l’étape milanaise proposée par Arthaus Musik en collaboration avec la RAI. Les fans de l’immense chanteur espagnol ont déjà pu acquérir la soirée londonienne, chez EMI, malgré de graves défauts (voir le compte-rendu du spectacle), et la luxueuse version du Met chez Sony dans la production de Giancarlo Del Monaco (voir recension).
Tout a été dit sur ce que Plácido Domingo apporte à un rôle dans lequel il est beaucoup plus convaincant qu’en Rigoletto. Certes, la couleur de voix ne laisse de surprendre et, en cette soirée milanaise, on entend surtout, en tout cas dans le prologue, un vieux ténor qui joue au baryton et qui est fatigué, ses aigus trahissant les années. Par la suite, l’émotion et le beau chant reprennent le dessus. Domingo est poignant en vieillard qui se meurt et qui pardonne. La ligne de chant est époustouflante, même si la voix est évidemment moins longue que jadis.
Le deuxième point fort de la distribution est Anja Harteros qui délivre une magistrale leçon de chant. Puissance, souplesse, beauté intrinsèque de l’instrument, elle se promène en Amelia, rôle qui lui va comme un gant. Tout au plus pourra-t-on regretter une forme de réserve dans l’engagement scénique. Mais, pour elle comme pour tous les autres artistes, il y a des circonstances atténuantes.
A commencer par un partenaire expressif comme une bite d’amarrage sur le port de Gênes. En Gabriele Adorno, Fabio Sartori est à la limite du grotesque. Le ténor enchaîne poses convenues et gestes stéréotypés. Vocalement, si l’instrument fait peut-être effet en live, sur ce DVD, la voix paraît voilée et engorgée, l’aigu se resserrant dangereusement. Une prestation à oublier.
On se demande bien pourquoi Amelia ne préfère pas Paolo Albiani qui trouve en Massimo Cavaletti un interprète idéal. La voix est saine, ronde, timbrée et la projection insolente. Le baryton toscan, qui a beaucoup chanté à Zurich ces dernières années, voit sa carrière décoller (il débutera à Salzbourg en 2012 avant d’assumer le rôle de Posa et Ford à la Scala en 2013…) et ce n’est que justice. Le grand Leo Nucci, qui lui prodigue ses conseils, n’y est sans doute pas pour rien. Et Paris, c’est pour quand ?
L’autre clef de fa n’appelle hélas pas les mêmes éloges. Ferruccio Furlanetto n’en peut plus, détimbre, sombre dans des dérapages véristes hors de propos. Son Fiesco est tout simplement inaudible et laisser un tel héritage au DVD est bien dommage, surtout après une carrière bien remplie.
Deux derniers points noirs pour finir. On dit volontiers que Simon est un opéra de chef, à supposer que cette expression ait un sens. Le prologue, les belles phrases introductives de l’air d’Amélia, la scène du conseil, les langueurs décrivant les effets du poison permettent, entre autre, au directeur musical et à son orchestre d’exposer leurs intentions musicales. Malheureusement, Simon Boccanegra ne doit pas inspirer Daniel Barenboim. Surprenant dans le choix des tempi, sans que l’on en perçoive la raison (prologue), banal la plupart du temps, souvent trop lourd, il déçoit et, si l’on en croit les échos des gazettes, il avait été copieusement hué le soir de la première à Milan. Les miracles du montage permettent de lui éviter ces avanies en vidéo.
Quant à la production, l’excellent Placido, le nôtre, celui de Forum Opera,Placido Carrerotti, avait tout écrit en chroniquant la création à Berlin (voir recension). Force est de constater que les améliorations, de l’Allemagne vers l’Italie, à supposer qu’elles aient été apportées, sont discrètes. Le prologue est épouvantablement sombre ; les décors sont médiocres et les acteurs paraissent livrés à eux-mêmes.