Après un premier récital de Lieder, après un choix d’airs d’opéra de Grétry et Mozart, Christiane Karg poursuit son parcours discographique en revenant à sa langue et à un compositeur dont on sait qu’elle est tout à fait à même de le servir, et très bien : sa participation au Rosenkavalier donné en concert au Théâtre des Champs-Elysées l’a assez prouvé.
Sans remonter jusqu’aux gloires d’hier qui ont enregistré le même répertoire, et si l’on en reste aux contemporaines immédiates de la soprano allemande, il est permis de songer à une autre chanteuse germanique, habituée aux rôles de colorature, qui a également gravé un récital straussien. Il y a chez Diana Damrau – on pense à son album Poesie sorti en 2010 – un côté plus sophistiqué, plus démonstratif, qui pouvait laisser entendre que la dame s’orientait déjà vers un tout autre répertoire. Déjà, lorsque Damrau était Sophie du Chevalier à la rose, on voyait qu’elle jouait la jeune fille, la pimbêche, la maladroite. Avec Christiane Karg, rien de tel, mais au contraire un naturel désarmant, comme on a pu le constater même lors de la version de concert mentionnée plus haut. Il ne s’agit pas pour autant d’une innocence naïve, car il n’y a rien de niais dans cette spontanéité, et ce n’est pas une bécassine bavaroise que l’on entend ici. Aucune afféterie, mais une délicatesse de phrasé qui enchante. Et si l’on songe à une autre straussienne parmi ses compatriotes à la carrière déjà bien établie, Christiane Karg échappe aussi à la relative froideur qu’on peut parfois reprocher à une Anne Schwanewilms.
Autre différence de taille : mesdames Damrau et Schwanewilms ont enregistré des lieder avec orchestre, la première ayant eu à sa disposition tous les instrumentistes du Münchner Philharmoniker dirigé par Christian Thielemann, alors que Christiane Karg vient à nous avec le seul (et excellent) Malcolm Martineau. Et ce naturel si précieux tient beaucoup à l’effet magique du piano : si l’on n’a évidemment pas ici la somptuosité des combinaisons de timbres que l’orchestre permet à Strauss, la relative discrétion de l’instrument seul autorise la chanteuse à adopter un ton plus proche de la confidence, comme dans l’intimité du parlé, presque en tête-à-tête avec l’auditeur. Unique exception à ce duo, le cor de Felix Klieser vient unir dans « Alphorn » sa voix à celles de la soprano et du piano.
Christiane Karg ne se borne pas aux lieder les plus doux, et montre qu’elle est tout aussi capable d’aborder des rivages plus dramatiques, comme « Madrigal », ou les intrigants Lieder der Ophelia. Espérons donc que l’invitation secrète qui donne son titre à ce disque restera le moins secrète possible et convaincra le plus d’auditeurs possibles de l’immense talent de cette artiste.