En 2013, la production de Guillaume Tell donnée au Festival Rossini de Pesaro n’avait pas convaincu notre rédacteur en chef. Sa publication en DVD est une bonne surprise car beaucoup des défauts relevés à la scène disparaissent à l’enregistrement.
Capté au plus près, le français de Nicola Alaimo, quoique très latin, reste largement compréhensible. Bon belcantiste, le baryton sait colorer son chant avec intelligence et musicalité, mais la voix manifeste aussi quelques raucités. Il lui manque surtout cette science de la déclamation indispensable dans ce rôle à mi-chemin entre les écoles italienne et française. On le verra plus à l’aise quelques années plus tard lors des concerts de Monte-Carlo et du Théâtre des Champs-Elysées.
Juan Diego Florez campe un Arnold romantique et ardent, à l’aigu sûr, et surtout percutant grâce à la proximité des micros : sa grande scène de l’acte III et ses huit contre-ut sont ainsi particulièrement enthousiasmants ! Au-delà de ces performances physiques, on apprécie encore plus une superbe palette de couleurs, des variations de dynamique, une capacité à alléger ou alourdir la voix, une maîtrise technique parfaite au service d’une impeccable intelligence musicale jusque dans le moindre récitatif. Son introduction au duo avec Mathilde pourrait ainsi servir de modèle à qui s’interrogerait sur ce qui fait la spécificité du bel canto.
Le ténor péruvien ne trouve pas en Marina Rebeka une artiste à son niveau. Certes le matériau est intéressant : la voix parait ample et large, le timbre sombre et plaisant. Malheureusement, ces moyens naturels s’effacent devant une interprétation sans intérêt. Le français est souvent incompréhensible et le soprano n’offre qu’un jeu de couleurs très limité se contentant d’un chant générique, monochrome et désincarné. Ainsi, le duo « Oui vous l’arrachez de mon âme » offre un contraste presque gênant entre le chant empressé de Florez et la placidité de sa collègue. On en viendrait à plaindre le pauvre Juan Diego de voir ses efforts si peu payé en retour.
En dépit d’un matériau vocal un peu quelconque, Amanda Forsythe campe un Jemmy émouvant et bien chantant et justifie le rétablissement de son air « Ah, que ton âme se rassure », coupé par Rossini lors de la création de l’œuvre. On apprécie également le pêcheur de Celso Albelo impeccable de style et l’Hedwidge de Veronica Simeoni.
L’ouvrage ne semble guère avoir inspiré Graham Vick qui offre un spectacle assez laid et pauvre en idées. L’action est déplacée au début du XXe siècle. On voit les occupants tourner des films de propagande devant des toiles peintes évoquant une Suisse idéalisée tandis que le peuple nettoie le sol (on pense aux clichés d’Astérix chez les Helvètes). Modernité oblige, la pomme explose dans la fumée. Beaucoup de bruits de scène viennent polluer l’écoute, comme le crissement des pieds sur un encombrant gravier au premier acte (à moins qu’il ne s’agisse de fêves de cacao pour rester dans les clichés). La chorégraphie de Ron Howell, par ailleurs plutôt mal exécutée (on espère qu’il ne s’agit pas danseurs professionnels), oscille entre la pure dérision et l’agitation d’un asile de fous avant la distribution des calmants : de ce côté-ci, rien de nouveau non plus hélas.
Dès l’ouverture, Michele Mariotti met la barre haute en termes de direction d’orchestre : agilité, vivacité, attention aux détails d’un morceau souvent galvaudé. La suite confirmera cette impression extrêmement favorable : Mariotti est ici un vrai chef de théâtre, capable à la fois de soutenir les chanteurs , de faire de l’orchestre l’un des protagonistes du drame et d’assurer tout au long de cette imposant ouvrage une tension toujours soutenue.
La captation vidéo de Tiziano Mancini opte pour des plans rapprochés ou originaux (avec des prises depuis les cintres ou sur les côtés, par exemple) ainsi que pour des balayages à la grue, qui viennent rompre un risque de monotonie dû à la mise en scène, mais accentuant aussi une certaine distanciation comme si on assistait à un show télévisuel plutôt qu’à un opéra.