Gian Carlo Menotti a fait partie de la cohorte de musiciens que les ukases bouléziens ont voués aux gémonies entre les années 60 et les années 80. Dame, écrire dans un langage post-vériste revendiqué, faire allégeance au milieu musical américain (Menotti fut élève puis enseignant au Curtis Institute de Philadelphie), et surtout se frotter à la popularité, quelle idée ! D’autres plus sournois, aux Etats-Unis notamment, pincent le nez quand ils voient un Menotti afficher son homosexualité, et prendre pour compagnon un autre décadent romantique, Samuel Barber, dont il écrit les livrets d’opéras (dont Vanessa), comme les siens, puisque cerise sur le gâteau, Monsieur se pique de littérature…
Le « Puccini du pauvre » (formule de Boulez, qui croit probablement que Puccini écrit pour les riches…) a pourtant écrit de bien belles choses, dont, pour ne parler ici que d’opéra, le très beau Maria Golovine récemment monté à Marseille, The Medium, The Consul, The Telephone… et cet opéra télévisuel sur une commande de la NBC, Amahl and the Night Visitors, diffusé pour la première fois à Noël 1951. Un succès, repris tous les ans sur NBC jusqu’en 1966, mais aussi deux fois par la BBC. C’est un beau conte inspiré à Menotti par la peinture de Bosch L’Adoration des rois mages. Amahl est un enfant handicapé qui ne sait dire la vérité. Sa mère ne le croit donc pas quand il lui déclare avoir vu une étrange étoile dans le ciel. On frappe à la porte et sa mère lui demande d’aller voir qui c’est : son fils lui dit que des rois attendent dehors, elle ne le croit pas non plus, jusqu’à se rendre elle-même à l’évidence : ce sont les trois rois mages. Ils racontent leur long voyage pour donner des cadeaux à un enfant merveilleux, et demandent à se reposer. Plus tard dans la nuit, la mère vole un peu de leur or pour subvenir à sa pauvreté et soigner son fils, mais elle est surprise par le Page des Rois mages. Ahmal prend sa défense, les Mages décident de lui laisser ce qu’elle a volé, car l’Enfant Saint n’a de toute façon pas besoin d’or et de pouvoir pour bâtir son Royaume. La Mère veut alors lui faire porter un cadeau, mais elle n’a rien… ni Ahmal, si ce n’est ses béquilles. Quand il donne ses béquilles aux Rois Mages, il se rend compte qu’il a été guéri, et qu’il peut marcher. Il part alors avec eux pour rencontrer l’Enfant et le remercier.
A ce stade du récit, on a le choix entre ricaner devant cette belle histoire édifiante pour petits n’enfants, ou rentrer dans le jeu. La dernière solution a été choisie par votre serviteur, grâce à la musique de Menotti, et au talent des interprètes. On plane ici comme les anges de l’histoire, à mille lieues au-dessus du niveau moyen des prestations américaines traditionnelles aux budgets étriqués pour fin d’années scolaro-familiales. Cinquante minutes d’un lyrisme émouvant teinté d’humour, faisant souvent songer aux opéras pour enfants de Purcell dans l’économie des moyens utilisés et leur efficacité suggestive, par exemple les touches de hautbois ici et là, le trio des Mages sur lequel se greffe la voix de la Mère, la simplicité de l’évocation de la guérison de l’enfant. Les interprètes sont de haut niveau, à commencer par l’Amahl de Ike Hawkersmith, émission précise, bien timbrée, et justesse de ton. Grande et simple musique pour petits et grands enfants, à qui il ne manque que l’image… une idée pour la future belle télévision culturelle que l’on nous promet en 2009, une fois la pub disparue ? Chiche !
Sophie Roughol