Du Festspielhaus de Baden-Baden nous provient ce Tannhäuser, capté à l’été 2008, reflet d’une co-production avec l’Opéra d’Amsterdam.
La mise en scène de Nikolaus Lehnoff prend le parti de la sobriété et n’est pas sans rappeler, par moments (jeux de lumières, certains costumes…), les productions de Bob Wilson. Elle présente l’avantage certain de recentrer le drame sur son essence, sans à-côtés superflus. Dominée en son milieu par un grand escalier hélicoïdal, la scène baigne en permanence dans une lumière sombre. Le choix des costumes n’apparaît pas particulièrement cohérent : alors que Tannhäuser ne quitte jamais un long manteau de cuir noir, tandis qu’Elisabeth est toujours de blanc vêtue (jusque là, on suit), Wolfram navigue entre un accoutrement doré du plus mauvais effet au II, et un costume intimidant de sobriété au III. Quoi qu’il en soit, cette mise en scène épurée convient particulièrement à l’acte III, crépusculaire, plus qu’aux deux premiers.
Dans la fosse, Philippe Jordan est à l’œuvre. Sa direction volontiers chambriste et constamment inspirée témoigne d’une belle maturité. Le Deutsches Symphonie Orchester de Berlin suit, sans génie particulier et est plutôt avare de belles couleurs. De même, on a entendu des phalanges chorales plus convaincantes que le Chœur Philharmonia de Vienne.
On aimerait tellement écrire du bien du Tannhäuser de Robert Gambill ! Après tant d’autres – et non des moindres -, il jette les armes devant ce rôle inchantable, le plus difficile de tous les rôles de ténor wagnérien. En dépit d’un timbre sombre et chaud, appréciable dans le médium, il doit dès le début s’avouer vaincu par la tessiture impossible : une certaine fréquentation des scènes wagnériennes nous a appris que dans 95% des cas, on pouvait être fixé sur le titulaire du rôle-titre dès ses premiers « Zu viel ! Zu viel ! ». C’est hélas le cas ici, et pas dans le bon sens. La voix bouge terriblement dans le registre aigu, et les « Dir töne Lob ! » successifs sont autant d’étapes d’un long chemin de croix vocal. Ajoutons que la captation vidéo ne nous épargne rien des rictus pénibles du chanteur à chaque note aigue. « Versunken und vertan », auraient conclu les maîtres-chanteurs.
Quel contraste avec la Vénus de Waltraud Meier ! L’intelligence vocale est stupéfiante. Elle parvient à masquer le poids des ans et à sublimer cette voix si atypique. Quand au jeu de l’actrice, il est renversant. Dieu merci, l’œuvre est donnée ici dans la version de Paris. Le rôle de Vénus y est significativement plus développé que dans la version de Dresde, et regarde carrément vers Isolde et Kundry : il semble avoir été écrit pour Waltraud Meier. Elle y déploie des sortilèges vocaux et théâtraux qui ne sauraient laisser de marbre l’ascète le plus inflexible. On comprend qu’avec de tels arguments, elle entraîne Tannhäuser à sa perte. C’est elle qui, à l’évidence, rafle la mise dans ce casting bien inégal. Cette Vénus de feu, troublante et insinuante, vaut à elle seule un des deux cœurs attribués à ce DVD.
PLus problématique, l’Elisabeth de Camilla Nylund ne convainc pas totalement. Le timbre n’est pas laid, mais la voix est altérée par un vibrato serré gênant dans le registre aigu, notamment dans l’air d’entrée. Ce défaut, conjugué à ceux évoqués plus haut chez Tannhäuser nous vaut une fin de duo d’amour franchement pénible. Quant à la prière au III, elle manque totalement d’intériorité.
Le Landgraf de Stephen Milling est en revanche une bonne surprise : les moyens vocaux sont conséquents, le timbre de basse est agréablement velouté, quoi qu’un peu tendu dans l’extrême aigu. On lui sait gré par ailleurs d’incarner autre chose qu’une baderne pontifiante, comme c’est hélas trop souvent le cas pour ce rôle.
Roman Trekel, qui incarne ici Wolfram (après avoir été titulaire du rôle plusieurs été de suite à Bayreuth), est un authentique Liedersänger. Il s’inscrit ainsi dans la lignée fameuse de Herbert Janssen, Heinrich Schlusnus, Dietrich Fischer-Dieskau et Hermann Prey ou, plus près de nous, Mathias Goerne. Sans surprise, on retrouve donc ici une attention aux mots admirable, un phrasé, un sens de la ligne qui sont ceux d’un authentique poète. La romance à l’étoile, superbe, en témoigne de la plus belle manière. On émettra cependant une réserve : si l’intelligence vocale est bien celle d’un Liedersänger, il en va de même des moyens vocaux. La voix est celle d’un baryton léger : elle fait merveille dans le cadre intimiste d’un récital, accompagnée d’un piano. Sur une scène d’opéra, c’est une autre affaire : il y faut d’autres capacités de projection, pour passer l’orchestre et atteindre les derniers rangs du public. Trekel trouve ici sa limite, ce qui n’ôte rien à ses immenses qualités.
On terminera pour regretter que les seconds rôles (Walther, Biterolf, Reimar, Heinrich) n’aient pas été distribués avec davantage de soin, ce qui pénalise singulièrement la scène du concours au II.