Même si notre excellent collègue Sylvain Fort est l’un de ceux qui ont œuvré pour la réhabilitation d’un compositeur accusé de tous les maux ou presque, il reste sans doute à faire pour laver Puccini des accusations de sensiblerie, de vulgarité et de facilité dont il pâtit encore auprès des beaux-esprits, comme s’il était exclu d’apprécier autant Butterfly que Lulu, comme si l’on ne pouvait applaudir à la fois Le Triptyque et Les Soldats. Après Wagner, Mozart, Richard Strauss, Janáček et Verdi, voici venu le tour de Puccini, qui rejoint la série des « modes d’emploi » consacrés à un compositeur par L’Avant-Scène Opéra. Rappelons au passage que tous les titres de Puccini n’ont pas eu droit à un volume spécifique parmi les quelque trois cents numéros publiés par les éditions Premières Loges. Que Le Villi et Edgar n’aient pas bénéficié d’un numéro, c’est tout à fait compréhensible ; l’absence de La rondine au catalogue est plus étonnante, d’autant que cette œuvre, certes hybride, a été programmée à Toulouse et à Paris il n’y a pas si longtemps (il paraît cependant qu’un tel numéro est prévu dans un avenir proche).
Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, ce « mode d’emploi » ne se contente pas de reprendre le matériau publié dans les volumes consacrés à Puccini, depuis Tosca (le n° 11, paru en 1977) jusqu’à Turandot (n° 33 de 1981 actualisé en 2004 pour devenir le n° 220). La principale différence est que ce mode d’emploi, comme ses prédécesseurs, est l’œuvre d’une seule plume, en l’occurrence celle de Chantal Cazaux, rédactrice en chef à L’Avant-Scène Opéra qui s’était déjà chargée du Verdi publié en 2012. C’est à elle que l’on doit, pour chacun des dix opéras de Puccini, un équivalent évidemment plus succinct de ce qu’offrent les volumes habituels, consacrés à une seule œuvre : Genèse et création, Résumé de l’action, Guide d’écoute, portrait des Personnages et analyse des Enjeux. De part et d’autre de ces « Dix regards sur dix opéras », on trouve une brève biographie du compositeur et trois études envisageant son œuvre sous un angle spécifique, puis trois chapitres se penchant sur les voix pucciniennes, les chefs pucciniens et les grandes productions pucciniennes, le tout complété par une disco-vidéographie et une bibliographie. Bref, tout le confort (ou presque) auquel sont habitués les lecteurs de L’ASO.
Les trois premiers textes se penchent sur les liens du compositeur avec ses contemporains – pour mieux combattre l’assimilation réductrice Puccini = vérisme = chant débraillé –, sur ses personnages féminins (le mythe de la « petite femme »…), et sur le côté cinématographique de son écriture, son art de créer un décor sonore, de transformer le chœur en « un microcosme d’individus aux dissonances montées avec art en un jeu de plans multiples », pour une musique dotée d’une « mobilité interne digne d’une caméra ».
L’étude des interprètes va de Cesira Ferrani (1863-1943), première Manon Lescaut, première Mimì, à Joseph Calleja, né en 1978, mais bien que la sélection de quarante grandes voix pucciniennes relève du « crève-cœur », Chantal Cazaux a « pris le parti de parler d’aujourd’hui presque autant que d’hier » (on relève notamment le nom d’Alexia Voulgaridou, « admirable à chaque fois qu’on la croise », bien qu’encore peu « médiatique »). Parmi les vingt chefs retenus, de Leopoldo Mugnone (1858-1941) à Andris Nelsons, né en 1978, lui aussi, Riccardo Chailly se détache à cause de son intégrale Puccini qui devrait durer jusqu’en 2022, « destinée à devenir la référence audio et vidéo du nouveau siècle ». Au chapitre des metteurs en scène, Robert Carsen se distingue lui aussi, car son cycle Puccini à l’Opéra des Flandres, malgré ses hauts et ses bas, aura eu l’immense mérite de montrer qu’il est possible « de fouiller l’inconscient des œuvres et d’en accoucher une intemporalité puissante ».
Une fois ce volume dévoré, vous aurez certes encore le droit de ne pas aimer Puccini, mais vous réfléchirez à deux fois avant d’en dire du mal.