A ceux dont les oreilles ne supporteraient pas Joan Sutherland dans le répertoire français – et cela peut se comprendre –, la version de Lakmé que propose aujourd’hui Malibran permettra de retrouver avec un entourage bien différent le meilleur Gérald de la discographie, Alain Vanzo, quelques années avant l’intégrale gravée en 1968 pour Decca sous la direction de Richard Bonynge. Le ténor monégasque s’y révèle tout aussi excellent qu’aux côtés de Dame Joan, avec cette même science inimitable des nuances qui fait de « Fantaisie, ô divin mensonge » un moment de grâce suprême, tel qu’aucun autre interprète n’a pu l’égaler. Malheureusement, le reste de la distribution n’est pas vraiment à la hauteur de ce protagoniste d’exception.
Pour cette bande qui correspond vraisemblablement à un concert radiodiffusé, on a fait appel à quelques piliers de l’Opéra-Comique, à une époque où la décadence avait hélas commencé. Disparue en décembre 1960, Mado Robin aurait été pour Vanzo une partenaire idéale, mais le destin ne l’a pas voulu ainsi. Denise Boursin est une Lakmé plus proche de Mady Mesplé, mais elle évoque surtout un Yniold un peu tête-à-claques. Avec elle, l’héroïne est indéniablement une enfant, une toute petite fille, dont la mièvrerie est désormais difficilement acceptable. La diction est impeccable, bien sûr, et c’est là une qualité immense, et peut-être l’interprète pouvait-elle mieux convaincre en scène. La voix n’est pas immense, et l’on a peine à croire qu’à la même époque, on lui confiait des rôles comme Eudoxie de La Juive. Pierre Savignol a un fort beau timbre de basse, mais certaines coquetteries d’articulation, certains accents, certaines consonnes curieusement soulignées empêchent son Nilakhanta d’être le fanatique terrifiant qu’il devrait être : cette diction devait le servir admirablement dans les rôles comiques que cette « basse noble » avait à son répertoire, Basile du Barbier, par exemple, mais le pénalise dans ce rôle sérieux. Agnès Disney est une Mallika dont le vibrato commence à s’accentuer : on la préfère nettement dans l’enregistrement « historique » réalisé dix ans auparavant sous la direction de George Sebastian.
Pierre-Michel Leconte (1921-2000) fouette l’orchestre – sans doute le « radio-lyrique » de la RTF, dont il fut chef permanent entre 1960 et 1973 –, lui imposant un rythme d’enfer dans des passages qui en sortent transfigurés : le marché du deuxième acte est pris d’une véritable frénésie qui convient bien à la hâte qu’expriment les marchands. Bien sûr, il y a des coupures, qui concernent notamment tout le ballet. Petit détail technique : sur cette bande de la radio, un envahissant présentateur ajoutait vraisemblablement ses commentaires à tout bout de champ, pour que les auditeurs ne perdent rien de l’action qui se déroule. Un travail minutieux a été fait pour éliminer ces interventions indésirables, deux ou trois d’entre elles ayant néanmoins dû être conservées parce qu’elles se superposaient à la minute, mais il en résulte toute une série de micro-coupures du son.