Ce DVD est la preuve que l’on ne peut plus jouer La Périchole comme on le faisait il y a deux siècles, ou même il y a 40 ans, quand l’œuvre faisait en 1969 les beaux soirs du théâtre de Paris, avec notamment Jane Rhodes et Jean Le Poulain. Car depuis, il y a eu le météorite Savary, qui a tout bouleversé. Sa comédie musicale sud-américaine d’après Offenbach (1999-2007) en a agacé plus d’un, et pourtant, c’est peut-être elle la plus fidèle à l’esprit du compositeur. Un DVD (« La chanteuse et le dictateur », Sony Music) nous permet d’en conserver le souvenir, et de faire toutes comparaisons utiles. Mais en tout état de cause, il n’y a que deux vidéo au catalogue : le DVD boude cet opéra-bouffe malgré le nombre de productions scéniques réalisées.
Le spectacle a été filmé en 1995 dans le magnifique théâtre impérial de Compiègne qui, en raison de la chute du Second Empire, n’a jamais été terminé, mais que Pierre Jourdan avait réussi à faire revivre en le consacrant au répertoire lyrique français. On est donc dans le minimalisme financier, avec seulement des toiles peintes de fond de scène, et néanmoins de très jolis costumes. Mais qu’importe, car on aimait prendre le chemin de Compiègne pour y voir des raretés solidement assurées sur le plan musical. Malheureusement, Pierre Jourdan est certainement meilleur cinéaste (voir ses captations mythiques d’Orange dans les années 70) que metteur en scène… On ne dira donc rien de plus de cette production, plus mise en espace que mise en scène, avec ses chœurs aux attitudes convenues, limite patronage, et qui plus est coincés le plus souvent sur des espèces de gradins. Et quelle drôle d’idée en plus d’avoir plombé le spectacle d’un « animateur », comme si La Périchole avait besoin de commentaires.
Le plateau n’est pas mauvais, mais qu’il est cruel d’avoir filmé Gabriel Bacquier, immense artiste s’il en est, dans cette production. Ici fatigué, presque lassé, l’air de s’ennuyer et quasi sans voix, il n’est que l’ombre de lui-même. Dans ces conditions, même le clin d’œil grossier du déjeuner de Don Juan (qu’il jouait à Aix et dans le monde entier dans les années 60) n’est pas drôle du tout. Seul éclair soudain quand il fait son numéro déguisé en geôlier, et que l’on retrouve fra Melitone et le grand Bacquier que l’on aime tant.
Lucile Vignon a une belle voix, une musicalité évidente, une technique solide, un style parfait, une prononciation correcte, il n’empêche qu’elle n’est pas Hortense Schneider et qu’il ne se passe rien : ni piquante ni vraiment séduisante. Ainsi, sans aller jusqu’à la chute dans la fosse d’orchestre fignolée par Savary, ici le « Je suis un peu grise » tombe complètement à plat (il faut l’avoir entendu par Jessye Norman et Felicity Lott, entre autres). En revanche, elle se rattrape avec « Mon Dieu que les hommes sont bêtes ». Franck T’Hézan se sort plutôt bien du rôle de Piquillo, sans en avoir peut-être toutes les finesses intellectuelles et vocales. Le reste de la distribution est plutôt honorable, et la direction de Dominique Trottein excellente. Aucun bonus (pas même des extraits d’autres productions pour donner envie d’acheter les autres DVD de la collection de Compiègne), pas non plus de livret sinon 4 pages avec l’intrigue en 12 lignes et en 5 langues.