Vous avez en horreur ces sopranos pointues et nasillardes qui ravissaient le public français pendant l’entre-deux-guerres ? Vous avez bien raison, mais Gabrielle Ritter-Ciampi est faite pour dissiper toutes vos appréhensions. Fille du ténor italien Ezio Ciampi et de la soprano Cécile Ritter, cette chanteuse prouve qu’on sut chanter Mozart en France avant certaines Noces de Figaro montées en 1973 à Versailles et au Palais Garnier. Certes, il existe des témoignages assez effrayants de la façon dont Wolfgang Amadeus était jadis asphyxié dans notre pays, par des orchestres pachydermiques et des traductions laborieuses. Mais la réalité du chant mozartien à Paris ne se borne pas à cela. Salle Favart, dans les années 1920, Gabrielle Ritter-Ciampi fut Fiodiligi, Constance et la Comtesse ; à Garnier, à la même époque elle fut Constance également, mais aussi Elvire et Pamina. Par ce nouveau récital, le label Malibran poursuit un hommage entamé avec un premier disque dont Mozart était absent. On retrouvera ici le grand répertoire français (Gounod, Charpentier, Meyerbeer), et Ritter-Ciampi est tout à fait convaincante dans l’air des bijoux ou dans « Depuis le jour », mais ce qui fait vraiment le prix de ce CD, ce sont bien les extraits des Noces, de Così, de La Flûte et du plus rare Re pastore.
Si le « Come scoglio » est inclus en fin de parcours comme bonus, c’est parce que la qualité sonore en est plus que médiocre. Mais tous les autres sont parfaitement écoutables et doivent être écoutés. D’abord à cause du chef qui dirige l’orchestre anonyme. On connaît surtout Manfred Gurlitt comme compositeur d’opéras d’après des œuvres qui ont également inspirés des confrères plus célèbres : Wozzeck en 1926, Soldaten en 1930. En tant que chef, il fut chargé de nombreux enregistrements pour Deutsche Grammophon, entre autres, et c’est à lui que le label Polydor fit appel pour accompagner Gabrielle Ritter-Ciampi. Sans doute la tradition allemande est-elle pour quelque chose dans l’absence de toute graisse superflue : ce Mozart-là avance, vit, palpite. Et la soprano n’y est pas pour rien non plus. Grâce à son ascendance, elle chante ces partitions dans la langue pour laquelle elles ont été composées, pour trois d’entre elles du moins, puisque c’est ici Il flauto magico que l’on entend, et non Die Zauberflöte. Mais quelle virtuosité, quel art de la vocalise elle déploie dans ces airs. Quelle science de l’ornement, qui lui permet des trilles interminables ! Et, dans un tout autre répertoire, ces vocalises piquées dont elle gratifie la fin de « Sempre libera » ! Le tout sans jamais la moindre acidité. Ritter-Ciampi virevolte avec une aisance confondante, mais son chant n’en est pas pour autant dépourvu d’émotion. Loin d’être un simple rossignol, elle sait animer un récitatif, mettre un personnage sous les notes, donner un sens à l’exploit vocal. Une vraie leçon, dans Mozart, mais pas seulement.