Le problème de cet enregistrement de Lieder de Schubert n’est pas son contenu, mais la concurrence à laquelle il sera inévitablement confronté. Les plus grands chanteurs du siècle ont enregistré et réenregistré ces pages, et les proposer sur le marché aujourd’hui, c’est se condamner à apporter quelque chose de nouveau, ou d’exceptionnellement réalisé. C’est ici que le bât blesse. Si tout est d’un niveau honorable, on ne trouvera dans ces 72 minutes rien qui se hisse au dessus d’une honnête moyenne, rien qui lui confère un bâton de maréchal pour l’imposer au mélomane de 2016.
Le titre met déjà la puce à l’oreille : quoi de plus rebattu que ce thème du « Wanderer », du voyageur schubertien, sur lequel ont été écrites des milliers de pages et qui a servi de fil rouge à des dizaines de récitals ? Le programme est tout aussi passe-partout. Pourquoi choisir d’enregistrer seulement sept lieder du Schwanengesang, et pas la totalité du cycle, et le coincer entre des morceaux isolés ? Si certains lieder répondent bien à la thématique choisie, d’autres tombent comme un cheveu dans la soupe, et on ne sent aucune ligne directrice, aucune trajectoire, aucun message.
Pour transcender ces faiblesses éditoriales et s’imposer dans un paysage aussi chargé de références, il aurait fallu se doter d’une qualité musicale hors pair. Ce n’est pas le cas. Non que Roderick Williams démérite. Au contraire, il n’y a que du bien à dire de son chant. La voix est saine et puissante, capable d’allègements, agréablement virile et remarquablement homogène. Ayant dit cela, on aura presque épuisé le sujet. Il n’y a dans le timbre aucune patte propre, aucune fêlure qui hissera le baryton dans la catégorie des interprètes qui se logent immédiatement dans l’oreille. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer : plage après plage, le chanteur s’investit dans mille nuances, cherchant à dégager le sens de chaque lied. Le problème est que cela part un peu dans tous les sens, et qu’à chaque fois, on sent aisément de qui vient l’inspiration : ici l’expressionisme de Fischer Dieskau, là une pamoison inspirée par Christian Gerhaher, là encore une pincée du chant châtié de Matthias Goerne. Rien de tout cela ne marque.
L’originalité qui manque du côté du chanteur, la trouvera-t-on du côté du pianiste ? Iain Burnside offre également un très solide niveau technique, et son piano est d’un soutien sans faille pour son partenaire. Lui aussi semble rechercher des raffinements nouveaux par moments, notamment dans son accompagnement très ralenti de « Auf dem Wasser zu singen », mais cela ne convainc pas, faute d’orientation claire.
Que toutes les réserves exprimées plus haut n’amènent pas à se méprendre : il s’agit d’un excellent album Schubert, offrant deux artistes de haut niveau dans une prise de son de référence. Il a pour seul vrai défaut de venir après tant d’autres, mais il servira idéalement d’introduction au néophyte. Un CD à offrir plus qu’à s’offrir.