Entièrement consacré à la musique de Nicola Porpora (1686 – 1768), ce nouveau récital de Franco Fagioli vient ressusciter l’art d’un compositeur encore rarement redonné à la scène. Célèbre professeur de chant, Porpora eut les castrats Senesino, Farinelli, Caffarelli ou Porporino parmi ses élèves. Egalement professeur de composition, il fut le maître de Joseph Haydn ou Johann Adolph Hasse. Exact contemporain de Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759), Porpora fut même un temps considéré comme rival de ce dernier lorsqu’il fut appelé à Londres dans les années 1733 à 1736 pour former pour une compagnie rivale de celle du maître saxon (les deux compagnies firent faillite). Pourquoi cet oubli au XXIe siècle ? On peut avancer plusieurs raisons : malgré la longue traversée du désert de l’opéra baroque, Haendel est toujours resté à l’affiche (et donc connu du public habituel du classique) par des ouvrages comme son Messiah ou sa Fireworks music ; les compositions de Porpora sont encore plus « inchantables » que celle de Haendel et, à l’époque moderne, peu de contre-ténors (et encore moins de castrats !) se sont risqués à les défendre. Faute de combattants, impossible de mesurer objectivement les valeux respectives des deux compositeurs.
Puis vint Fagioli … Les récentes représentations d’Artaserse de Vinci avaient démontré l’incroyable insolence vocale de cet artiste mais ce disque marque un nouveau pas en avant. Le contre-ténor argentin renouvelle l’approche de ce répertoire comme jadis Dame Joan Sutherland avait renouvelé celle du belcanto romantique. Une technique confondante, des moyens prodigieux et un engagement inouï : il y aura un « avant » et un « après » Fagioli.
Technique ? On a jamais entendu roulades, trilles, sauts d’octaves exécutés avec une telle maîtrise par un contre-ténor. Seules Sutherland, Horne ou Bartoli (et mes excuses si j’en oublie) peuvent prétendre à une telle perfection.
Moyens ? Deux octaves du si grave au si aigu dans Carlo il Calvo ; ut dièse dans le second air de Polifemo (mea culpa à l’avance : ces hauteurs ont été estimées à l’oreille et par référence au diapason moderne).
Engagement ? Cédons un instant la parole à Fagioli lui-même (mais toute la note d’introduction du CD serait à citer) : « En chantant les œuvres que Porpora composa, j’ai l’impression de me trouver dans sa salle de classe , de percevoir la façon généreuse qu’il avait d’enseigner, et je m’efforce de m’approprier tout ce que je peux tirer de ces pages musicales, d’établir pour ainsi dire ce contact et enfin d’APPRENDRE. Apprendre en chantant ses airs est une telle joie, un tel défi ! Sa manière d’écrire est si particulière, remplie de trilles, de longs passages en colorature, d’interminables phrases dans ses airs les plus mélancoliques … si chargée d’émotion, si profonde et si efficace en même temps (…) Quelle honneur de chanter votre musique, quel plaisir de sentir en mon corps la musique que vous avez écrite ».
Si l’on devait faire un reproche à cet album, c’est qu’il nous donne un goût de « trop peu ». L’enchaînement d’airs de bravoure et de morceaux plus mélancoliques démontre la variété de l’inspiration de Porpora mais pas son efficacité dramatique ce qui peut lasser un public moins amateur d’exploits vocaux : comme pour Vinci, on attend avec impatience la résurrection d’un ouvrage intégral à la scène.
Cerise sur le gâteau, Fagioli trouve avec l’Academia Montis Regalis dirigé par Alessandro De Marchi une complicité et une symbiose qui vont bien au-delà du simple accompagnement d’un chanteur « star », d’autant que la prise de son est remarquable, détaillant l’apport de chaque instrument tout en préservant l’intégrité de l’ensemble.