Trois ans après son premier album, Prologue, pour le label Pentatone, Francesca Aspromonte, revient avec un nouvel enregistrement, un florilège de pièces baroques rares de Lulier, Bononcini, Caldara, Perti, Haendel, et Scarlatti, dédiées à deux femmes, Marie et Marie-Madeleine, deux protagonistes de l’histoire biblique que tout semble opposer mais qui sont réunies dans une foi commune et l’amour d’un être qui a changé la trajectoire de leur destin, fils pour l’une, guide spirituel pour l’autre. La qualité de l’interprétation est ici à la hauteur de l’originalité du programme. Dans la juste lignée du précédent, cet album atteste de la richesse dramatique du répertoire du début du 18e siècle et de l’art consommé de Francesca Aspromonte pour trouver les thèmes adéquats à ses enregistrements. Elle nous a confié que pourtant les programmes ne sont pas prémédités et sont souvent le fruit de conversations spontanées dans son quotidien avec son entourage, en l’occurrence ici son époux, le violoniste Boris Begelman, alors qu’ils se promenaient à la recherche d’un appartement. Au fil de la conversation, il lui suggérait pour son nouveau CD d’évoquer un personnage biblique, telle que la vierge Marie, mais Francesca pensait qu’il y déjà avait beaucoup de CD des « Madonne Addolorate ». L’idée du programme lui est venue à l’esprit quand son époux lui a alors proposé de confronter le personnage de la Vierge Marie à un autre personnage. Et c’est sur cette différence, cette opposition apparente que le thème de l’album s’est construit, ce dont l’artiste fait d’ailleurs écho dans le livret du disque.
Mais loin d’opposer les deux personnages de femmes, le programme les met en perspective comme deux visions complémentaires de mêmes évènements vécus. Au fil de l’écoute, on pourrait craindre une certaine monotonie, tant parfois les pièces se ressemblent, conférant à l’écoute un sentiment d’uniformité, sur un programme de surcroit long de 62 minutes, alors que deux personnages sont ici mis en présence, et que l’on devrait entendre une différence dans leurs caractérisation. Malgré une grande expressivité et une maîtrise indéniable de toutes les difficultés techniques de passages parfois très ornées, Francesca Aspromonte ne parvient toutefois pas à différencier de manière marquée les deux figures de femmes. Peut-être aurait-il fallu faire appel à deux solistes pour les personnifier… Ces quelques réserves n’entament cependant en rien le plaisir procuré par l’écoute de ce disque porté par le talent de la soprano italienne, les interventions inspirées du violoniste Boris Begelman et la richesse des pièces interprétées avec brio par I Barrochisti sous la direction de Diego Fasolis . À la variété des rythmes font écho les mille couleurs des cordes et du continuo.
La voix de Francesca Aspromonte est ferme et brillante, mais plus encore que l’interprétation c’est l’aisance avec laquelle la soprano habite les textes qui ne cesse de capturer l’auditeur. On goûte ici tant à une leçon de beau dire que de beau chant, nourrie d’italianità, mais aussi d’intelligence, où la voix souple se plie à la moindre intention. Le dialogue entre la musique et la soprano s’élève au même niveau d’éloquence, parlant tant aux sens qu’à l’esprit. En outre, l’album nous fait découvrir des pages rares et précieuses, telle que « La conversione di Maddalena » de Bononcini. Francesca Aspromonte en livre une interprétation d’un grand intérêt, aussi attentive aux détails que capable de restituer la charge dramatique et l’intensité de cet oratorio dans lequel la protagoniste, Maddalena, est appelée à faire un choix, entre l’amour du Divin et les plaisirs terrestres.
A une osmose on aurait toutefois préféré une vraie confrontation entre la mère et la pècheresse, moins consensuelle, avec une palette d’émotions différentes. Mais l’idée est particulièrement séduisante de réunir la Vierge Marie et Marie-Madeleine comme deux femmes belles et fortes qui ont bouleversé leur vie en choisissant de se consacrer entièrement à un idéal. L’interprétation sensible de ces pièces par Francesca Aspromonte explore toutes les émotions des deux Maries et dresse un portrait, entre ciel et terre, profondément émouvant, de femmes confrontées à des évènements auxquels elles adhèrent pleinement, ici, comme deux âmes sœurs et non comme deux étrangères aux vies divergentes. Du bel ouvrage.