Haut fonctionnaire, critique musical, auteur déjà chez Actes Sud de plusieurs biographies dont un Bizet remarqué, Jérôme Bastianelli est aussi le président de la société des amis de Marcel Proust. Quoi d’étonnant alors à ce que sa monographie de Federico Mompou débute par la citation des quarante-trois réponses catalanes apportées par le musicien au questionnaire de l’écrivain. Son occupation préférée ? « Celle qui consiste à trouver le moyen de n’en avoir aucune ». Sa devise ? « Ne pas dépasser les limites de sa personnalité ».
Est-ce la raison pour laquelle le compositeur, né à Barcelone en 1893, n’a jamais franchi le seuil de l’opéra ? Ce pianiste de formation, que Jérôme Bastianelli qualifie de contemplatif, de maladroit et de timide, ne pouvait s’épanouir sous les ors tapageurs du théâtre lyrique.
Son œuvre n’exclut pas pour autant la voix et, parmi une majorité de recueil de pièces pour piano, figure une quarantaine de mélodies en espagnol, catalan et français, dont la plus célèbre d’entre elles, « Damunt de tu » composée en 1942, sera inscrite par José Carreras au programme des Trois Ténors. A son catalogue aussi, quelques pages chorales, notamment les Improperes, « une partition délicate et un brin austère » que Jérôme Bastianelli rapproche de la Messe de Stravinsky et du Stabat Mater de Poulenc.
Si elle se dissipa un temps dans l’agitation des années folles à Paris, la vie de Federico Mompou fut à l’image de sa musique, simple et contemplative. Ce refus de tout étalage ne fut pas sans influer sur la carrière du pianiste comme du compositeur. Éloquente est l’anecdote où le musicien en proie à l’anxiété attisée par une trop longue attente, renonce au dernier moment à rencontrer Fauré – dont l’écoute du Quintette avait pourtant décidé de la vocation.
Dans cette fuite se trouve peut-être la similitude avec Marcel Proust, réfugié comme lui dans un imaginaire qui sert de médiateur entre le monde extérieur et intérieur. Etat présent de votre esprit ? « Sensible à l’évocation de toutes les images de mon passé », répond le musicien en mal de madeleine. A la différence de l’écrivain cependant, l’inclination à la rêverie se traduit par une économie d’effets, une esthétique de la simplicité où il s’agit, comme l’affirmait Mompou lui-même, de tendre à « un maximum d’expressivité avec un minimum de moyens ».
Autre différence de taille entre les deux artistes : l’absence de Dieu dans l’œuvre de l’un alors que le mysticisme irrigue les compositions de l’autre ainsi qu’en témoigne la partition de Música Callada inspirée par Saint Jean de La Croix dont « la ligne mélodique, parfois contenue dans un intervalle bien étroit, semble avoir été notée sous la dictée d’un ange triste. »
Ce n’est pas le moindre des mérites du récit de Jérôme Bastianelli, par son découpage en courts chapitres et son absence d’éclats stylistiques, de se mettre au diapason de son sujet pour livrer mieux qu’un regard chronologique, une réflexion et une invitation à s’immerger dans un univers tapissé de silences.