Sans doute la mélodie française n’est-elle pas un genre qui appelle les walkyries et les heldenténors. Sans doute fut-elle surtout conçue pour l’espace restreint de salons où le son se propageait sans peine. Pour autant, faut-il la parler plutôt que de la chanter ? Faut-il définitivement abandonner ce répertoire aux diseuses chlorotiques ?
Certes Thibault Lenaerts a l’articulation claire, malgré des e muets étonnamment présents, parfois, et même si l’absence soigneusement cultivée de toute dimension « opéra » fait paraître ses R vraiment trop roulés. Le ténor belge comprend ce qu’il chante, c’est heureux, mais que ce chant est étique ! Où est la chair ? Plus gênant encore, où est l’élan ? A force de dépouillement, les vers semblent parfois presque ânonnés. Et certains pianissimos en deviennent inaudibles.
Peut-être ce style d’interprétation, qui doit bien avoir des adeptes, fera-t-il même des convertis à la mélodie française. Tant mieux si le refus du vibrato dans des partitions du XIXe siècle séduit certaines oreilles. Mais il est aussi permis de penser que la pratique de la musique baroque n’est pas nécessairement la meilleure école pour aborder la musique vocale de Fauré.
Dommage, car le piano Erard 1873 dont joue Philippe Rega sonne fort bien. Dommage, car le pianiste joint, lui, une fermeté bienvenue à la délicatesse nécessaire. C’est hélas la somnolence qui guette l’auditeur, car ce son raréfié, systématiquement amoindri, donne une impression d’absence totale d’énergie et ne contribue guère à relancer l’attention d’une plage à l’autre. Les respirations instrumentales en prennent d’autant plus de relief, à l’inverse de ce qui est trop souvent le cas dans les disques de chant. Du reste, ce chant-là se tarit au bout de cinquante-trois minutes, dont près de neuf où la voix se tait.