Coïncidant avec le 70e anniversaire du festival fondé en 1948 par Gabriel Dussurget, la fin du mandat de Bernard Foccroulle à Aix-en-Provence est marquée par deux publications proposées par les éditions Actes Sud. L’Opéra, miroir du monde est avant tout un livre d’images réunissant des photographies des productions des vingt dernières années, commentées par Louis Geisler et Alain Perroux, et agrémentées de nombreux témoignages d’artistes. L’autre ouvrage est, lui, plus tourné vers l’avenir, puisque que Bernard Foccroulle y répond à quatre interlocuteurs pour exposer sa conception de l’opéra. Même s’il n’a pas l’intention de prendre la tête d’une autre institution (voir notre interview parue cet hiver), l’ex-directeur du festival ne compte pas lâcher le monde de l’opéra, bien au contraire, puisqu’il peut désormais pleinement se consacrer à la composition, comme en témoignera en avril 2019 la création de Zauberland, dialogue avec le Dichterliebe de Schumann. Loin de n’être qu’un regard rétrospectif et nostalgique, Faire vivre l’opéra permet à Bernard Foccroulle d’exposer sa vision de l’art lyrique tel qu’il devrait être et tel qu’il sera peut-être.
D’abord, et son travail à Aix l’a brillamment montré, il faut remettre la création au centre de l’activité des maisons d’opéra, sans quoi notre patrimoine musical deviendra « un objet mémoriel et muséal, mais privé de vie ». Notre époque s’y prête, car le genre attire à nouveau les compositeurs, après un passage à vide dans les décennies de l’après-guerre. « Le renouveau de la création lyrique passe par la volonté de prendre en compte la dimension humaine, la couleur vocale, l’intelligibilité du texte » : on ne peut qu’applaudir ce genre de déclaration. Si la mise en scène a constitué, dans les années 1970, un « transfert de créativité vers le domaine de l’interprétation », grâce auquel l’opéra a survécu, il serait bon de se rapprocher de l’époque bénie où le public lyrique allait avant tout assister des créations. « Certes, l’opéra est bien incapable de changer le monde. Mais nous ne pourrons vraiiment comprendre celui-ci, et moins encore le changer, si nous ne prêtons attention à la voix des artistes, d’ici et d’ailleurs. C’est pourquoi nous avons et aurons toujours besoin de création, au singulier et au pluriel ».
Evidemment, cela suppose que l’on prenne des risques et que l’on cesse de penser que les désirs de public se bornent à un petit nombre de titres constamment repris. « Je considère que le spectateur est par principe intelligent, sensible, généreux, et je n’ai aucune envie de faire preuve de démagogie à son égard ». Cela n’a rien d’utopique, pourvu qu’on consacré assez d’efforts à la « sensibilisation » nécessaire. Et on ne peut devenir sensible qu’à ce qui a du sens : « Je ne me sens pas obligé de programmer des œuvres que je trouve surannées, qui ont eu du succès autrefois, mais dont le sens s’est progressivement épuisé ».
La quête de sens selon Bernard Foccroulle passe aussi par « les créations interculturelles ». La collaboration avec des maisons d’opéra à l’étranger en est une des voies possibles, quitte à coopérer parfois avec des pays dont le bilan n’est pas entièrement positif en matière de droits humains : « Je pense que les échanges culturels sont beaucoup plus productifs en termes de liberté d’expression que les boycotts, même fondés sur des analyses politiques pertinentes ». Si certains aménagements de détail sont possibles pour respecter les susceptibilités des différentes cultures, « il y a des aspects bien plus importants que la question de la nudité ! Certaines œuvres, certaines productions d’opéra présentent des aspects que la censure ne tolérerait pas dans certains pays ». Des choix s’imposent, et tous les compromis ne sont pas acceptables. La recherche de l’égalité et de l’équilibre entre les cultures est possible à condition de choisir entre deux tendances opposées. « Entre le consumérisme et la création. Entre la théorie de l’opéra comme divertissement ou comme un art qui donne du sens au monde ».