Vous pensiez que le Requiem de Mozart revu par Süssmayr était intouchable ? Ou au contraire que les versions Beyer ou Robbins Landon lui avaient réglé leur compte ? Voici que Leonardo Garcia Alarcón nous propose une nouvelle solution. Les arguments sont a priori honnêtes : hormis l’Incipit et le Kyrie, totalement de la main de Mozart, les mouvements n’ont été brossés qu’à grands traits (lignes vocales, basse, quelques traits instrumentaux), Süssmayr les a complétés (il sera plus tard « corrigé » par d’autres) et a intégralement composé les pièces dont Mozart n’aurait pas écrit une seule note (Sanctus, Benedictus, Agnus Dei). C’est justement pour cette raison que Leonardo Garcia Alarcón écarte ces trois pièces de sa version. Pour le reste, il utilise les complétions de Süssmayr révisées par Beyer (mais qu’il retouche lui-même parfois) et réintègre, pour conclure la Sequentia, un Amen dont Mozart n’avait écrit que quelques mesures, mesures que Süssmayr ne compléta point. On trouve cet Amen inachevé dans quelques versions (Spering, Currentzis) mais ici, Alarcón en propose une version complétée par Richard Maunder en 1986.
Tout ce que l’on entend donc dans cet enregistrement provient, selon Alarcón, totalement ou partiellement de la main de Mozart et tout ce qui n’en provient pas du tout est écarté. Voilà qui est frustrant pour l’habitué du Requiem (car on a du mal à croire que le superbe Benedictus ne possède pas une note de Mozart…) mais, à la lumière des connaissances musicologiques actuelles, la démarche s’avère honnête… ou presque : car si Alarcón avait suivi son raisonnement jusqu’au bout, il aurait fait comme Christoph Spering et n’aurait joué que le manuscrit de Mozart, avec ses interruptions subites, un matériau qui semble parfois se déliter progressivement, et nous aurions eu une bien meilleure version que celle, très moyenne, de Spering. On ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’une occasion manquée…
Le résultat est cependant convaincant et même parfois emballant. Alarcón séduit en effet par une direction débordant de fougue et de dramatisme. Moins dérangeant que Teodor Currentzis, il ménage cependant beaucoup de contrastes et réserve des moments d’une grande finesse (le Rex tremendae majestatis en est l’illustration avec de très beaux « Salva me »). C’est une vision pleine de jeunesse et de dynamisme (Alarcón veut montrer que, malgré son objet, la partition est remplie de vie) mais, par voie de conséquence, il lui manque parfois un soupçon d’émotion, voire de profondeur.
Les forces musicales sont superbes, d’un orchestre étincelant à un chœur brillant par son homogénéité, par sa belle couleur vocale et par la solidité de ses pupitres (sopranos parfaites, notamment dans les rudes aigus du fameux Amen). Les solistes sont remarquables et montrent une belle ferveur. L’on regrette juste que Josef Wagner détonne par une voix qui présente une certaine usure alors que ses partenaires respirent la jeunesse, particulièrement Hui Jin, ténor inspiré.
Le Requiem réduit à 37 minutes nécessitait un « complément », et c’est assez naturellement que Leonardo Garcia Alarcón a choisi le Concerto pour clarinette, l’une des dernières partitions achevées par Mozart. La réussite est ici totale : de la clarinette de basset douce et chaleureuse de Benjamin Dieltjens à la couleur de l’orchestre et la qualité de la direction amoureuse d’Alarcón. On rejoint sans peine la beauté de l’enregistrement d’Eric Hoeprich (également à la clarinette de basset) avec Franz Brüggen.