Travailleur infatigable, Donizetti se trouva fort dépourvu quand, en 1841, la censure retarda l’approbation du livret de Maria Padilla, un ouvrage commandé par La Scala. Gustave Vaëz, le librettiste de La Favorite et de la version française de Lucia di Lammermoor, le tira de ce mauvais pas en lui proposant de mettre en musique Rita, un opéra-comique dont le sujet aujourd’hui n’obtiendrait pas forcément l’imprimatur. Pensez, une histoire de mari battu par son épouse. A l’heure où, un homme tous les dix jours meurt de violences conjugales en France (et une femme tous les trois jours), le goût de la plaisanterie est discutable.
Rita mène son benêt de mari, Pepé, à la baguette, n’hésitant pas à le rosser lorsque nécessaire. Survient Gasparo, son premier époux que l’on croyait mort en naufrage et qui, en fait, ne cherche qu’à récupérer les papiers de son mariage pour convoler avec une américaine. Pepé voit là une occasion inespérée d’échapper à sa tortionnaire. Les deux hommes jouent Rita à la courte-paille. Gasparo l’emporte malgré lui mais la mégère refuse de le suivre. Pardi, il avait, comme elle, la main leste ! Pepé se réjouit un peu trop vite. Provoqué en duel par son rival, il se dit que finalement les soufflets sont préférables aux coups de pistolet. Et, notre mari battu de reprendre penaud le chemin du domicile conjugal. Gasparo peut repartir convoler en Amérique, non sans avoir auparavant conseillé à Pepé de châtier autant qu’il aime.
Donizetti torcha en moins de temps qu’il ne faut pour le dire les huit numéros de la partition puis passa à autre chose. Rita fut créée à l’Opéra-Comique en 1860, douze ans après la mort du compositeur, sans grand succès semble-t-il. Il fallut attendre plus de cent ans pour qu’exhumant l’ouvrage, on s’aperçoive qu’il valait mieux que l’oubli dans lequel il était tombé. Avec trois rôles seulement – soprano, ténor, baryton – et toutes les combinaisons vocales que cela suppose, cet authentique opéra-comique s’avère taillé dans le même bois que La Fille du régiment, la tendresse en moins. La rudesse de l’argument, il faut dire, laisse peu de place à la sentimentalité qui fait souvent le charme délicat de ce répertoire. Le ténor dispose d’un air à la mélodie entêtante – suffisamment florissant pour que Juan-Diego Flórez le chante dans sa version italienne de temps à autre (« Allegro io son »). Le duo entre les deux hommes pourrait être signé Offenbach. Et l’orchestre, dès le prélude, est secoué d’un rire qui annonce Don Pasquale.
En s’attaquant à ce petit bijou trop négligé, Opera Rara a fait une fois de plus œuvre de philologie. Le choix de la version française et d’une nouvelle édition établie à partir de la partition autographe de Donizetti pose d’emblée l’enregistrement en référence. D’un classicisme on ne peut plus respectable, la direction de Sir Mark Elder est à l’orchestre ce que Burlington est à la chaussette. L’ouvrage gagnerait sans doute à plus de fantaisie.
Les trois chanteurs s’acquittent de leur rôle, sans surmonter entièrement la difficulté que représente, sur disque comme sur scène, le passage du parler au chanter. La diction de Katarina Karneus est un tantinet exotique ; la sécheresse de son timbre convient à l’image acariâtre que l’on se fait de Rita. Plus vaillant que brillant, le Pepé de Barry Banks a la bonne humeur contagieuse. Christopher Maltman tente non sans raideur de soumettre son tempérament à la truculente roublardise de Gasparo. Au fil de l’écoute, on se demande si Opera Rara n’aurait pas dû accompagner sa démarche philologique d’une réflexion sur les voix requises par ce genre d’ouvrage. Non seulement revenir aux sources de la partition mais aussi privilégier des chanteurs mieux adaptés aux caractéristiques de l’opéra-comique : français pour le moins, et stylistiquement rompus à un genre dont, après l’école baroque et rossinienne, il serait bienvenu de réinventer les codes d’interprétation.