« Epique » est le mot : comment décrire autrement ces pages de Schubert, Loewe, Wolf et Schumann et les récits hallucinés qu’ils mettent en musique ? Surnaturel, effroi, hyperbole, tout y est fait pour capter l’auditeur.
Le baryton Stéphane Degout et le pianiste Simon Lepper s’emparent de ce répertoire avec une maîtrise qui force le respect. On n’entend aucun défaut dans cette voix capable de la plus grande vaillance sans jamais faiblir ; capable également, par moments, d’une douceur surprenante au milieu de ce déferlement épique. On pense par exemple aux premières mesures de « Die Nonne und der Ritter » ; on pense aussi à « Der Zwerg », ouvrant l’album avec un tempo un peu plus lent que ce que l’on a l’habitude d’entendre, avec un long début piano qui ne s’intensifie que très progressivement ; mais une retenue et une douceur qui rendent le drame infiniment plus intense lorsqu’il surgit.
La beauté du timbre, l’aigu assuré, une remarquable prononciation allemande également permettent de suivre le chanteur dans ces différentes pièces qui, chacune, racontent une histoire. Celui-ci est également rejoint brièvement par Marielou Jacquard pour « Die Nonne und der Ritter », et par Dame Felicity Palmer pour un « Edward » de Brahms saisissant ; dès lors, on se demande un peu ce que les Trois sonnets de Pétrarque viennent faire dans ce programme, tant en raison de leur langue que de leur sujet, purement élégiaque. L’interprétation de Stéphane Degout et Simon Lepper n’est pas ici en cause, loin de là, tant les aigus sont puissants et la ligne bien dessinée ; mais on saisit mal l’unité de ce programme et l’on est presque déçue de finir sur cette note sentimentale après tant de mélodies tragiques.
N’était cette réserve concernant le choix du programme – ou du moins de son titre –, on se laisse bien aisément saisir par les atmosphères dépeintes par les deux musiciens, et notamment par le pianiste dont on admire la virtuosité dans « Die drei Zigeuner ». Il fait également entendre, dans « Der Zwerg », une indépendance des voix absolument remarquable et qui participe au souffle épique traversant cet album.
Après plusieurs enregistrements consacrés à la mélodie française, on est donc heureux d’avoir au disque un témoignage de Stéphane Degout interprète de Lieder, car il possède sans aucun doute le sens du théâtre et l’expérience vocale nécessaires pour porter des pièces aussi exigeantes.