Ce n’est pas la première fois que Musique en Wallonie s’intéresse au compositeur liégeois Joseph Jongen (1873-1953), dont les mélodies avaient déjà fait l’objet d’un premier CD, où la voix de Claire Lefilliâtre était soutenue par un quintette avec piano.
Le label belge revient à la charge, mais se lance cette fois dans un ambitieux projet, puisqu’il annonce une « Intégrale des mélodies » (avec piano) de Jongen, dont ce n’est que le premier volume. Et l’entreprise prend un caractère scientifique lorsqu’on apprend que son interprète principale, la mezzo-soprano Sarah Defrise, a consacré une thèse de doctorat à ces partitions. Ses recherches lui ont même permis de découvrir dans les archives un cycle inédit dont le disque offre le premier enregistrement mondial.
Plutôt que de suivre strictement l’ordre chronologique, le choix a été fait de proposer dans chaque volume de cette intégrale des œuvres correspondant aux différentes périodes créatives de Joseph Jongen. C’est sans doute une bonne idée, car un premier disque exclusivement consacré aux œuvres les plus anciennes du compositeur aurait peut-être eu de quoi décourager l’auditeur.
En effet, les sept mélodies datant de 1892-93 se révèlent naturellement d’une sagesse extrême dans la mise en musique des poèmes redoutablement plats d’Armand Silvestre, rimeur que l’on connaît aujourd’hui exclusivement parce qu’il eut l’honneur d’inspirer des mélodies à Massenet. Si celui-ci pouvait parfois transcender la niaiserie de ces poèmes, tel n’est pas vraiment le cas du tout jeune Jongen, qui se borne à une série d’aimables compositions strophiques.
Par chance, il y a aussi tout autre chose sur ce disque. Les Six mélodies opus 25 montrent qu’en une décennie, Jongen avait avancé à pas de géant. Lauréat du Prix de Rome belge en 1897 (Musique en Wallonie avait fait paraître en 2003 un enregistrement de sa cantate victorieuse, Comala, sur un sujet ossianique qui avait inspiré Niels Gade au milieu du XIXe siècle). Le jeune Liégeois avait pu voyager à travers l’Europe et découvrir la musique de son temps, notamment à Berlin et à Paris. Il ose même une mélodie sur le texte d’ « Après un rêve », indissociable de Fauré dans nos esprits, et relève fort bien le gant. Déjà Jongen prouve qu’il est mieux qu’un épigone local des grands compositeurs français.
Mais bien entendu, les meilleurs fruits sont les plus tardifs. Présentées dans le disque comme « Six mélodies de maturité », ce sont en fait des pages indépendantes conçues entre 1909 et 1928, où Jongen laisse s’exprimer une inspiration totalement libre, voire aventureuse, à la tonalité flottante, et où l’on entend bien un compositeur du premier XXe siècle et non du XIXe finissant.
Le pianiste Craig White trouve dans ces partitions bien davantage matière à exercer ses talents, et l’on s’en réjouit pour lui. Quant à Sarah Defrise, si l’on admire son zèle à défendre Jongen, on s’inquiète un peu de l’entendre reprendre à son compte les partis pris interprétatifs que l’on regrettait dans le disque de mélodies avec quintette évoqué plus haut. Certes, l’accompagnement avec piano n’exige pas de la soliste de grands efforts pour être audible, mais on aimerait souvent que la mezzo-soprano donne plus de chair, plus de corps à sa voix, même dans un répertoire destiné à l’intimité des salons. Le souci de netteté dans l’émission devrait pouvoir être compatible avec l’expressivité, mais le soin accordé à la prononciation semble ici empêcher tout investissement plus physique, et se traduire par des notes fixes, surtout dans l’aigu, qui ne cadrent pas toujours très bien avec le style de cette musique, qui mériterait un peu plus de sensualité dans le chant. L’interprète en est parfaitement capable, comme le confirme la « Chanson roumaine » de l’opus 25, avec ses phrases en vocalise où elle met beaucoup de mordant. Dommage qu’elle ne se soit pas autorisée à colorer autant son discours sur le reste du programme.