Les mélodies de Lalo sont un cauchemar pour le critique. La plupart n’ont jamais été enregistrées, et sont donc proposées ici en première mondiale, dans une présentation de très grand luxe, qui plus est parrainée par le Palazzetto Bru Zane, avec ce que cela implique d’érudition et de travail éditorial aux petits oignons. On s’apprête donc à faire pleuvoir les adjectifs dithyrambiques, à louer le ciel d’avoir permis la redécouverte de tels joyaux, à pester une fois de plus contre l’histoire de la musique, qui a injustement condamné ces pépites à l’oubli.
Hélas, rien de tout cela. La vérité est que, sur les mélodies de Lalo, il n’y a rien à dire. On ne peut certes pas écrire qu’elles sont géniales, ce serait faire injure à l’intelligence de l’auditeur. On ne peut pas non plus les décrire comme ennuyeuses, Lalo sachant toujours où placer la petite modulation qui empêchera le malheureux mélomane de plonger dans le sommeil. Prétendre qu’elles soient originales serait un mensonge pur et simple, mais elles n’ont pas l’équilibre académique de celles de Saint-Saëns, par exemple. Si j’étais petit oiseau répète 6 (!) fois le même dessin mélodique, et Le Novice pourrait sans dommage être raccourci de moitié. En définitive, il n’y a rien à écrire de cette musique, si ce n’est qu’elle réussit l’exploit d’être totalement insipide, incolore et inodore. Sitôt écoutée, sitôt oubliée, ce qui est finalement la pire chose qui puisse arriver à une œuvre.
De l’interprétation, il y a en revanche beaucoup à dire. Tant il est vrai que c’est face à des œuvres d’une vacuité presque totale que les artistes révèlent ce qu’ils ont véritablement « dans le ventre ». Mozart ou Berlioz peuvent se défendre seuls. Lalo réclame des interprètes qui sachent faire vivre sa musique, et lui conférer le souffle que le compositeur n’a pas su mettre en elle. De ce côté, on est servi, avec un Tassis Christoyannis qui se révèle, disque après disque, comme un des meilleurs barytons de la génération montante, et surtout comme un spécialiste de la mélodie française. Une aisance parfaite dans la langue, un sens de la ligne qui paraît inné, une façon idéale de prononcer ce satané « r » français, qui pose tant de problèmes aux chanteurs, aussi bien francophones que non-francophones… Plus aucune difficulté n’existe pour le Grec, qui survole ces étendues arides avec maestria, et parvient à maintenir l’intérêt en éveil dans des œuvres où beaucoup de ses confrères auraient sombré corps et biens. Il peut aussi compter sur la complicité d’un pianiste, Jeff Cohen, qui, s’il n’offre pas toujours une sonorité idéalement belle, rend ses lignes palpitantes de vie, frémissantes et gorgées de vie. Tout ce qui manque à la partition, en fait, et qui nous est donné de surcroît par des musiciens totalement investis dans leur tâche. Rien que pour l’exploit que cela représente, ce disque vaut la peine d’être écouté.