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Dutilleux, l’esprit de variation (Gervasoni)

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Livre
12 février 2020
Autoportrait proustien

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Ecrits et catalogue établis par Pierre Gervasoni

Editions de la Philharmonie de Paris, novembre 2019
504 pages, 30 euros

Dutilleux n’était certainement pas un compositeur bavard. Contrairement à ses deux illustres confrères Messiaen (de huit ans son aîné) et Boulez (de neuf ans son cadet), il ne s’exprima que très peu sur sa musique, alors que le XXe siècle se montrait particulièrement friand de compositeurs analystes. On se réjouit d’en apprendre davantage sur Dutilleux par lui-même grâce à la récente parution de ses écrits. La mémoire de ce dernier doit beaucoup à Pierre Gervasoni. Alors que la littérature sur le compositeur était plutôt rare ou décevante (les entretiens avec Claude Glayman ne valent pas le détour), le musicologue signait en 2016 une remarquable biographie. Le présent ouvrage brille lui-aussi par sa précision et par son exhaustivité.

Malgré les 500 pages d’écrits, d’entretiens et de discours que nous offre cette édition, le personnage Dutilleux demeure difficile à cerner. Très peu loquace sur ses propres œuvres (il n’y a qu’Ainsi la nuit qui soit brièvement analysé), il préfère parler de ses goûts et de ses maîtres. Dis-moi qui tu aimes, et je te dirai qui tu es : le dicton s’applique parfaitement à notre compositeur, dont le portrait ne se laisse dresser que peu à peu, à la manière d’un questionnaire de Proust.
La voix occupe une place de choix dans son panthéon : Pelléas y est présenté comme « l’œuvre la plus marquante de tous les genres de la musique », et Carmen, Wozzeck ou la Damnation de Faust semblent également l’avoir marqué durablement. Chez les compositeurs instrumentaux, Dutilleux ne cesse de réaffirmer son attachement à Chopin, au Beethoven des derniers quatuors ou au Sacre de Stravinsky.

Puisqu’actif à la Radio dès 1944, Dutilleux s’intéressera toute sa vie à la vie musicale et à la création en France. Les nombreux hommages à des collègues compositeurs connus (Florent Schmitt, Darius Milhaud, André Jolivet, Betsy Jolas) ou moins (Marcel Mihalovici, Henri Tomasi) témoignent d’une personnalité attentive et curieuse, qui n’hésite pas à prendre la plume dès que les circonstances politiques ou esthétiques le requièrent. On lira avec bonheur l’article « Statistiques » de 1955, qui dresse un bilan de la création au sein des orchestres français qui n’a rien perdu de son actualité. On observe également l’intérêt du compositeur pour les musiques électroniques, bien que ce dernier avouera éprouver « une sorte de vertige en constatant combien est grand l’écart qui sépare [ma] technique acquise par les moyens traditionnels de cette nouvelle discipline que la maîtrise de ces nouveaux éléments exigerait de [moi] ». On trouvera enfin une maxime étonnante de spontanéité, dans un milieu où la rigueur d’écriture et de pensée sont plutôt de mise : « Je pense sincèrement que l’intention, en art, compte pour peu de chose, et que la véritable originalité est inconsciente ». 

Le grand âge du compositeur le contraignant à réduire ses prises de parole écrites ou orales, on n’apprend qu’assez peu de choses sur les deux œuvres vocales majeures de Dutilleux. En effet, Correspondances et Le temps l’Horloge sont ses deux derniers opus si l’on omet l’interlude ajouté en 2010 dans Les Citations. C’est ici que le catalogue établi par Pierre Gervasoni prouve son utilité, puisqu’il décrit avec minutie le contexte de commande, de composition et de création de chaque œuvre. On rappelle ainsi au lecteur le touchant coup de foudre dans un studio de France Inter entre un compositeur déjà âgé de 86 ans et une Renée Fleming au faîte de sa carrière, qui verra naître Le temps l’Horloge. On découvre l’intérêt du compositeur pour l’écriture de Händel (mais oui) dans le dernier volet du cycle, ou encore l’influence de Barbara Hannigan dans certains choix vocaux de Correspondances.

On constate enfin avec curiosité que le désir d’écrire une œuvre lyrique était bien présent chez Dutilleux. Interrogé sur le sujet dès ses premières années à la radio, il affirmait que l’idée faisait son chemin, sans donner plus de détail. Mais l’entreprise semble se compliquer avec les années. Dans une interview de 1968, on l’entend ainsi affirmer « qu’il faut essayer de faire un opéra avec les moyens dont nous disposons maintenant ». Dutilleux bute donc plus sur un problème de forme (voire de format) que sur l’éternelle question du livret : « Pour ma part, je me suis toujours dit que, le jour où j’aurai réellement envie d’écrire un opéra, je finirai bien par trouver un argument valable […]. Non, je crois que c’est une excuse d’invoquer l’absence de texte ». Bien que relancé plusieurs fois par Rolf Liebermann ou plus tard par Georges-François Hirsch, le projet ne verra jamais le jour, probablement aussi par manque de temps.

Les lyricomanes d’aujourd’hui se consolent donc avec les deux derniers joyaux d’un compositeur amoureux de poésie, et qui sut redonner au cycle vocal avec orchestre ses lettres de noblesse.

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