La place que Donizetti a occupée dans le paysage lyrique français a été oubliée. Héritier de Rossini au même titre que Bellini, le Bergamasque s’était rendu à Paris en 1835. Il s’y installera jusqu’à son internement, en 1846, et son transfert un an après dans sa ville natale où il disparaîtra. A un moment où la renaissance donizettienne a gagné toutes les scènes, où le public et les musiciens reconnaissent l’ampleur et la diversité des ouvrages d’un compositeur dont l’art force l’admiration, comme son extraordinaire capacité de travail, cet ouvrage tombe à point nommé. En dehors de quelques biographies succinctes, des précieux numéros de l’Avant-Scène Opéra, et de la thèse de Chantal Cazaux, rares sont les ouvrages en français consacrés au compositeur de tant de chefs-d’œuvre. Celui que nous offre Stella Rollet, centré sur la période parisienne de Donizetti, prend d’autant plus de relief, apportant bien des réponses à des questions controversées, fourmillant d’informations nouvelles ou révélées par un long et patient travail de recherche. L’essentiel de celles-ci relativisent, ou contredisent, nombre d’idées reçues relatives au compositeur, à sa facilité d’écriture, à sa réception par le public, par la critique. Ainsi que le rappelle Jean-Claude Yon, son directeur de thèse et préfacier, chercheur faisant autorité sur cette période de la vie musicale française, toutes les représentations parisiennes d’ouvrages de Donizetti entre 1831 et 1897 ont été recensées, plus de 7000 articles le concernant, parus dans la presse française, ont été dépouillés. Cet ouvrage est appelé à faire autorité dans la connaissance de Donizetti et du monde parisien de la Restauration. Bien au-delà du cercle restreint des musicologues, tous les passionnés d’opéra ou de bel-canto, curieux de compléter ou d’approfondir leurs connaissances relatives au compositeur et à son œuvre, en feront leur miel.
Ce fort volume de 535 p. se révèle d’un intérêt constant et d’une richesse insoupçonnée. En 166 pages, nous saurons tout de la vie parisienne de Donizetti, de ses premiers contacts aux querelles relatives à son retour à Bergame et à sa disparition prématurée. Les amitiés, les relations entretenues ou nouvelles, les salons nous deviennent familiers. Le processus de création d’un opéra, de ses préliminaires à son achèvement – essentiel – est particulièrement passionnant dans la mesure où, à la différence des biographies connues, nous vivons cette relation complexe du directeur de salle, du librettiste – voire de l’auteur de la source littéraire – des principaux solistes et du compositeur. Le chapitre intitulé « les honneurs et la fortune » est également passionnant, où l’auteure s’intéresse à la reconnaissance officielle autant qu’aux revenus que le compositeur tire de ses ouvrages donnés en France, très en avance sur l’Italie en matière de protection des droits d’auteur. Le revers de la médaille est mentionné plus loin (le procès Lucrèce Borgia, dans lequel Victor Hugo s’oppose à toute traduction). Le cadre juridique et politique dans lequel éclosent les ouvrages est éclairé. Le rôle de la critique, liée sinon soumise aux éditeurs qui publient ses ouvrages, est disséqué, conduisant à relativiser certains jugements de caractère mercantile plus qu’artistique. Sa relation à Berlioz, houleuse et conflictuelle, due à une incompréhension réciproque de leur génie, est précisée, illustrée de textes des deux parties (pp.311 sqq.).
La troisième partie (« les échos de Donizetti et de son œuvre en France, 1831-1897 »), de pratiquement 150 pages, est particulièrement originale et riche d’informations. Une étude théâtre par théâtre du nombre de représentations, assortie de tableaux et graphiques, la comparaison avec la diffusion d’opéras de ses contemporains, l’examen détaillé des programmes, la part des recettes de Donizetti, tout concourt à démontrer la place plus qu’honorable que ses ouvrages occupèrent sur les scènes parisiennes durant trois décennies. La réception des six opéras créés à Paris, (auxquels l’auteure ajoute Anna Bolena, Lucia di Lammermoor et L’Elisir d’amore) fait l’objet d’un chapitre des plus instructifs. La somme s’achève par l’examen de la notoriété et de la mémoire du compositeur jusqu’au centenaire de sa naissance (1897). La conclusion renvoie à l’histoire des spectacles à Paris au XIXe siècle, et au rôle catalyseur de notre capitale, qui n’aura participé que tardivement à la renaissance donizettienne. Puisse cet ouvrage y contribuer de façon décisive !
L’appareil critique, exemplaire, comporte, outre les notes, d’intéressantes annexes, la liste des sources, une très riche bibliographie, l’index des noms, des œuvres, et répond à toutes les attentes des lecteurs le plus exigeants.