Le malheur de Martial Caillebotte fut incontestablement d’être riche. S’il avait tiré le diable par la queue, ne se serait-il pas donné plus de mal pour faire jouer ses œuvres ? N’aurait-il pas composé davantage ? Hélas, la fortune familiale permit à Martial et à son célèbre frère aîné Gustave de mener une existence de dilettantes, passée à collectionner les timbres, à pratiquer la photographie ou à s’adonner l’un à la musique, l’autre à la peinture. Né à Paris en 1853, mort à Paris en 1910, Martial Caillebotte composa pendant toute sa vie adulte mais ne laisse qu’une petite vingtaine d’œuvres. En 2011, le baryton Mario Hacquard proposait un premier disque révélant ce Caillebotte compositeur, infiniment moins connu que son frère peintre : quinze minutes, dont une poignée de mélodies. Malgré sa brièveté, il semble que ce CD suscita bientôt des vocations, ou du moins des découvertes et d’autres enregistrements. En 2012, Michel Piquemal gravait la Messe solennelle de Pâques. Et voilà qu’il récidive avec un disque réunissant deux pièces de musique d’Eglise et la curieuse suite de « Scènes pour orchestre » intitulée Une journée.
Fondée sur sept poèmes d’Edouard Blau, librettiste du Cid et de Werther pour Massenet, du Roi d’Ys pour Lalo (sans oublier Le Paradis perdu de Théodore Dubois), cette dernière œuvre révèle un orchestrateur talentueux, une réelle inspiration mélodique et des harmonies assez audacieuses, magnifique exemple de wagnérisme à la française. Il n’était peut-être pas indispensable de faire enregistrer les poèmes qui, s’ils figurent en exergue de chaque numéro, n’appellent pas forcément la lecture à haute voix (et pourquoi ne pas avoir enregistré le cinquième morceau, « La Forge » ?).
Restent donc les deux morceaux religieux, qui se rattachent à toute une production extrêmement abondante dans le dernier quart du XIXe siècle. Ce que compose Martial Caillebotte est très proche de ce qu’écrivaient ses meilleurs contemporains dans le même registre, à la différence près qu’il s’agit ici incontestablement du reflet d’une piété sincère. Pourquoi Caillebotte, libre de toute contrainte financière, aurait-il laissé une messe, un psaume et un Dies Irae s’il n’était pas animé par la foi ? Cette musique ne néglige pas l’effet, mais n’a pas le clinquant théâtral qu’on peut reprocher à d’autres compositeurs de la même époque. Premier des solistes à se faire entendre, le ténor Philippe Do brille par son timbre clair et sa déclamation limpide. Dans le « Quid sum miser », Karine Deshayes se présente ici comme soprano, à en croire le livret d’accompagnement. Sa partie descend assez bas mais exige aussi des capacités dans l’aigu ; si elle n’est pas destinée à une mezzo, elle appelle au moins un solide soprano dramatique. Quoi qu’il en soit, Karine Deshayes se jette avec conviction dans le Dies Irae auquel elle prête de beaux élans. En comparaison, le timbre de Clémentine Margaine, présente uniquement dans un numéro du Psaume 132, sonne beaucoup plus sombre, avec une onctuosité on ne peut plus appropriée pour le « Sicut unguentum ». Protagoniste essentiel de ces œuvres, le Chœur Vittoria est chez lui dans ce type de musique, où Martial Caillebotte montre en outre une belle maîtrise de l’écriture chorale.
Maintenant qu’il paraît avéré que Martial Caillebotte fut, bien que riche et oisif, l’un des meilleurs compositeurs de son temps, se serait-il pas temps, après avoir privilégié le versant religieux de sa production, de se pencher sur son œuvre lyrique profane ? Que vaut l’opéra Roncevaux, sur un livret d’Edouard Blau ? A quoi ressemble L’Eventail, opéra-comique écrit en 1875 ? Et le poème dramatique Don Paez, d’après Musset ? La plupart de ces partitions furent publiées chez Hartmann, l’éditeur de Massenet, et doivent donc être accessibles. Mais que fait le Palazzetto Bru Zane ?