Alphons Diepenbrock, né à Amsterdam le 2 septembre 1862, est mort dans la même ville il y a cent ans, le 5 avril 1921. Ce qui nous vaut, de la part du label hollandais Brilliant Classics, la réédition en trois CD de ses 35 mélodies pour voix et piano, précédemment publiées par un autre label batave Etcetera dans le coffret du sesquicentenaire du compositeur, en 2012.
Un mot d’abord de ce compositeur dont la renommée a rarement franchi les frontières des Pays-Bas. Contemporain, admirateur et parfois ami de Mahler, Richard Strauss, Debussy, Diepenbrock est une figure singulière de la musique du tournant du siècle. 90% de sa production – une centaine d’oeuvres – est vocale et chorale ! Rien pour le piano ou la musique de chambre, rien pour la grande symphonie, encore moins pour l’opéra – l’Amstellodamois qui a opté pour l’Université et les études littéraires avant d’aborder la composition en autodidacte, craint la comparaison avec ses contemporains. Il livrera cependant de voluptueuses musiques de scène, nous faisant regretter la rareté de sa production symphonique. Il donnera surtout de somptueux poèmes symphoniques avec voix soliste (qu’on trouve dans le coffret Etcetera – toujours disponible – interprétés par Janet Baker, Robert Holl, Arleen Auger ou Linda Finnie, et menés par Riccardo Chailly, Hans Vonk ou Bernard Haitink, excusez du peu !). (1)
Le présent coffret de 3 CD comprend donc les seules mélodies avec piano, 35 exactement, réparties en trois tiers quasiment égaux : 13 Lieder sur des poèmes de Novalis et Goethe pour l’essentiel, 11 mélodies sur des poèmes français – Baudelaire et Verlaine en majorité mais aussi Gide, Laforgue et Charles Van Lerberghe – et 11 sur des textes latins, italiens ou néerlandais.
Tout cet ensemble a été gravé aux Pays-Bas en 1994 et 1995 par la fine fleur du chant batave ou assimilé (l’Américaine Roberta Alexander s’y est installée à l’âge de 23 ans) avec un pianiste, Rudolf Jansen, choyé par ses partenaires parce qu’il est plus et mieux qu’un « accompagnateur ».
Indépendamment des questions de tessiture, on perçoit pourtant mal les clés de répartition de ce corpus entre les cinq interprètes, le ténor allemand Christoph Prégardien, le baryton-basse Robert Holl, la soprano Roberta Alexander, et les deux mezzo-sopranos hollandaises Jard Van Nes et Christa Pfeiler.
Evidemment on se précipite en premier sur les mélodies françaises, d’abord parce qu’on est intrigué : que peut encore dire Diepenbrock après Duparc (L’invitation au voyage) ou Fauré (Clair de lune, Mandoline, En sourdine..) ? La comparaison est loin d’être au désavantage du Hollandais, qui démontre non seulement une admiration sans bornes, mais surtout une compréhension intime de la poétique baudelairienne comme du génie verlainien. Mais Diepenbrock avouait lui-même le risque de ne pas trouver des interprètes capables de saisir et de restituer les subtilités d’une langue aussi difficile. De ce point de vue, les résultats sont ici très inégaux.
Christoph Prégardien est souverain – on serait étonné du contraire ! – dans les trois ballades de l’opus 1, successivement Entsagung (Uhland), Der Fischer (Goethe) et Der Abend kommt gezogen (Heine) et dans quatre mélodies néerlandaises dont la lyrique nous échappe quelque peu sous les rugosités de la langue. Le ténor est le seul qui n’aborde pas les mélodies françaises (alors qu’il en eût été ô combien capable !).
Robert Holl est le moins sollicité : 3 Lieder Es war ein alter König (Heine), Celebrität (Goethe), et le néerlandais Simeon’s Lofzang, deux poèmes de Baudelaire – Recueillement et Les Chats mettent en difficulté un habitué de la prosodie germanique.
Même score pour Christa Pfeiler, voix un peu impersonnelle, qui fait manifestement un effort de clarté et de diction dans L’invitation au voyage (Baudelaire), Puisque l’aube grandit (Verlaine) et Incantation (Gide).
Quant à Jard van Nes, impériale dans les quatre Goethe du CD 1, si remarquée dans les Zemlinsky, Mahler, Schoenberg ou Berio où les moirures de son timbre font merveille sous la conduite de Riccardo Chailly, on est obligé de constater qu’on ne comprend pas un traître mot aux deux mélodies françaises(En sourdine et Berceuse) qu’elle savonne aimablement.
Heureusement Roberta Alexander, voix claire et timbre fruité, chante l’allemand, l’italien, le néerlandais comme une native, et administre une leçon de diction, de compréhension du texte lorsqu’elle aborde Clair de Lune, Mandoline, Ecoutez la chanson bien douce, et surtout l’étrange et énigmatique Chanson de l’hypertrophique (Jules Laforgue).
Pour se plonger pleinement dans l’univers de Diepenbrock, et découvrir notamment les mélodies avec orchestre (un orchestre luxuriant et transparent à la fois), on conseille au lecteur de se procurer la somme éditée par Etcetera, toujours disponible.
Malgré ses irrégularités, cette intégrale des mélodies de Diepenbrock pour voix et piano est hautement recommandable et procurera à l’auditeur de nombreux bonheurs, à commencer par celui de la découverte.
https://www.youtube.com/watch?v=4eVw5DrUeUk
(1) Plus de détails à retrouver sur le blog de l’auteur de ces lignes