Après tant et tant d’intégrales de La Flûte enchantée, une nouvelle captation – qui plus est en public – a-t-elle encore un sens ? Nulle nouveauté philologique ici, pas de distribution éminemment attendue. Bref, aucune évidence pour justifier la nécessité de ce coffret. Sauf une : le génie théâtral de Yannick Nézet-Séguin. Rarement aura-t-on entendu, à l’ère moderne, une lecture aussi dramatiquement inspirée. Dans chaque séquence (avec le disparate qui les caractérise) émerge le secret d’une pulsation, d’un accent, d’un phrasé insufflant à la partition une vie ardente. Le Chamber Orchestra of Europe trouve des couleurs nouvelles, une éloquence même où d’autres n’offrent que routine. Bien des leçons ont été retenues de Harnoncourt, Gardiner ou Jacobs – dans l’art de l’accentuation, notamment – mais partout règne surtout une intelligence dramatique, une versatilité interprétative, qui libèrent la drôlerie et la tendresse de l’œuvre avec un naturel confondant. La gravité n’en est point absente : les chœurs sont d’une solennité prenante. Voilà qui est bien. Mais il y plus. On a frémi, il faut l’avouer, à la lecture d’un cast agrégeant des vocalités très différentes : Vogt devenu wagnérien fêté apparié à une mozartienne d’école Janowitz comme Karg ? Shagirumatova gravant sa Reine de la Nuit… mais dix ans après y avoir imposé sa marque avec Muti ? Villazon en Papageno ? Il fallait oser. Et de cette audace le chef tire le meilleur. Car chaque chanteur est conduit d’une main amicale mais ferme à donner le meilleur de la musicalité mozartienne. Klaus Florian Vogt, dont le timbre clairet déçoit souvent au disque (lors qu’il irradie sur scène), est un Tamino juvénile et princier ; un Haefliger en plus lumineux. Albina Shagirumatova fait de la pulpe généreuse de son timbre un élément d’autorité dans une Reine de la Nuit à l’étonnante noirceur. Christiane Karg échauffe son timbre ravissant et s’engage comme rarement (la détresse de « Soll ich dich, Teurer… » !). Quant à Franz-Josef Selig, il est bien possible qu’il soit un des Sarastro les plus humains de la discographie, osant des attendrissements inouïs dans ses deux airs. Excellents comprimari. Reste le cas Rolando Villazon, autour de qui est construite cette série d’enregistrements mozartiens. Son Papageno surprend évidemment : le timbre n’a pas la rondeur barytonale attendue, et cela le prive d’une part de la bonhomie et du charme du personnage. Mais, avec son génie du théâtre à lui (et son allemand impeccable), il impose une incarnation chaplinesque, faite de maladresse et de fragilité, qui le met tout à fait à part, et qui contribue notoirement à la valeur de cette captation, pétrie d’émotion et, osons le dire, de mille beautés.
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