Si Leo Fall reste à l’affiche des pays germaniques, il est pour le moins oublié chez nous, davantage encore que Franz Lehár père et fils. Un siècle après sa création, Die Kaiserin, opérette viennoise s’il en est, retrouve une nouvelle jeunesse. Sauf erreur, la dernière intégrale a été gravée il y a plus de cinquante ans (Marszalek et le RSO Köln, en 1953). Le Festival de Bad Ischl, dans le Salzkammergut, à moins de 60 km de Salzbourg, en réalise cette nouvelle production. Signalons au passage la programmation de l’été prochain : Die Fledermaus et Die Rose von Stambul.
L’empereur veut que sa fille se marie. Il ignore que l’infante Marie-Thérèse aime Franz, duc de Lorraine. La comtesse Fuchs, tutrice, estime que le statut social de ce dernier le disqualifie, et elle va s’employer à contrarier leur relation. Ainsi tous les ingrédients sont-ils réunis : disgrâce, et retour en grâce, travestissements, intrigues, amours contrariées, jalousie, méprise, pour s’achever évidemment sur une fin heureuse. Chacun des actes correspond à une époque, le premier aux amours naissantes, le deuxième, longtemps après, à l’usure du couple, et au flirt d’un autre couple, le troisième au rebondissement qui permet une fin heureuse. Au couple impérial s’ajoute ainsi au second acte celui de la cousine de Franz, Bichette, venue de Paris pour l’anniversaire de l’impératrice, et du comte Pepi Cobenzl. La distribution mobilise plus de vingt solistes, sans compter un chœur fréquemment sollicité. L’orchestration, particulièrement soignée, requiert les bois par deux, quatre cors, deux trompettes et trois trombones, une harpe et les cordes. La formation que dirige Markus Burkert avec souplesse et élégance s’inscrit dans la meilleure tradition viennoise : l’orchestre est transparent, somptueux, nerveux, coloré à souhait. Les chœurs ne sont pas moins remarquables. Les pages restées justement célèbres sont toujours insérées dans un écrin orchestral et dramatique très soigné. Ainsi les valses lentes, fréquentes, le « Du mein Schönbrunn » au début du deuxième acte, le « Zwei Fußerln zum Tanzen »…
La distribution, jeune, très homogène, est essentiellement autrichienne. Si la notoriété des solistes a rarement dépassé les frontières du monde germanique, puisqu’attachés le plus souvent à une troupe (Leipzig, Graz, Linz, Innsbruck), leur métier est sûr et l’ensemble convainc. L’Impératrice de Miriam Portmann, familière de rôles légers mais aussi de ceux d’Agathe, Turandot ou Leonore, est bien campée, sensible, noble, d’une autorité naturelle. La voix est longue et la palette large. Soubrette idéale, Barth Jurca, a les aigus aisés et la légèreté que nécessite le rôle de Bichette. Le Franz de Jevgeni Taruntsov, à la voix pleine, bien projetée, nous offre un chant stylé. L’excès de vibrato du début disparaît heureusement ensuite. Bien que wagnérien, Clemens Kerschbaumer, le comte Pepi, fait montre d’une belle aisance dans ce rôle léger. La Comtesse Fuchs de Gabriele Kridl, rôle quelque peu ingrat, ne tourne pas à la caricature, son émission naturelle séduit. Aucune faiblesse n’est à signaler dans le reste de la nombreuse distribution. La réalisation, particulièrement soignée n’appelle que des éloges.
Les quelques bruits de scène, rares, participent à la vie de l’ouvrage. La large part des mélodrames et dialogues en allemand constitue un handicap pour l’auditeur non germaniste. D’autant que le livret bilingue (allemand-anglais) se borne à résumer l’action et à présenter les interprètes. Mais l’ouvrage mérite largement ce petit effort. Les qualités d’écriture et d’interprétation sont telles que l’audition, même oublieuse – ou ignorante – des paroles, réserve de très beaux moments.