Enregistrée en janvier 2018 à Hanovre sous la direction de Lawrence Foster, voici une Chauve-Souris qui, malgré des atouts indéniables, peine à prendre son envol.
Ce n’est pourtant pas à cause des dialogues, adaptés pour l’occasion par Nikolai Schukoff (l’interprète d’Eisenstein), et qui conviennent parfaitement au format du disque : sans rendre toutes les facéties de l’intrigue et mettant certains petits rôles de côté, ils paraîtraient trop brefs et légers pour une représentation ; mais ils se révèlent d’une longueur idéale à l’écoute.
La faute en revient plutôt à un plateau vocal inégal. Laura Aikin domine la distribution en Rosalinde : voix puissante, autorité, aigu éclatant, la soprano se saisit de la czardas du deuxième acte à bras le corps et incarne son personnage avec conviction dans les dialogues parlés. Falke et Franck bénéficient également d’interprètes de choix, tant vocalement que dramatiquement, à travers les voix de Mathias Hausmann et Jochen Schmeckenbecher, qui allient beauté du timbre et engagement dans la diction. Quant à Elisabeth Kulman, son Orlofsky convainc grâce à des aigus assurés, une vraie homogénéité dans le bas-medium et le grave, ainsi qu’à une voix parlée rendue étonnamment masculine !
La déception vient plutôt de Nikolai Schukoff (Eisenstein) et Christian Elsner (Alfred) : on regrette chez les deux ténors des sons trop ouverts et une prononciation qui manque de mordant.
De son côté, Annika Gerhards offre à Adèle une voix riche et corsée, mais que l’on ne peut s’empêcher de trouver un peu lourde pour le rôle – la faute sans doute à une direction empesée dans ses deux airs. Des inspirations sonores et une gouaille un peu outrancière dans les dialogues font perdre au personnage la vivacité et la légèreté qu’on en attend. C’est dommage car les aigus sont beaux : c’est presque en Rosalinde qu’on voudrait l’entendre !
Reste le cas du Frosch de Kurt Rydl : s’il possède une belle voix de basse, profonde, vibrante, on s’interroge sur le choix d’insérer dans cette Chauve-Souris la « Chanson de la puce » de Moussorgski et le « O wie will ich triumphieren » de L’Enlèvement au Sérail. S’il s’agissait d’offrir un contrepoint sérieux à la comédie, c’est réussi… mais était-ce bien utile ?
On espérait que l’orchestre dynamise cette distribution qui, sans convaincre totalement, ne possède pas moins de belles qualités ; mais bien que Lawrence Foster dirige la NDR Radiophilharmonie avec un vrai sens du détail – notamment grâce aux pupitres des vents qui donnent du relief à la partition – les musiciens sont trop souvent en retrait, effacés. On regrette quelques tempos bien lents, notamment dans « Mein Herr Marquis » et le trio « Ich stehe voll Zagen » : où est passé le charme viennois du maître de la valse ?
Signalons un détail – mais qui a son importance pour un auditeur francophone –, le livret accompagnant le CD n’est traduit qu’en anglais. Maîtriser la langue de Goethe ou de Shakespeare s’impose si l’on espère comprendre les dialogues…
Une Chauve-Souris qui possède donc des atouts, mais une Chauve-Souris sans la valse et le champagne : il nous manque le tournis.