Oh, pour aimer Mozart, Eve Ruggieri l’aime, la chose ne fait pas de doute. Elle aime tellement Wolfgang qu’elle inclut aussi dans son affection Leopold ou Constanze, selon elle injustement calomniés par bien des historiens. Et elle l’aime de longue date, comme elle ne manque pas une occasion de le rappeler, en se remémorant les séances de musique amateur qu’elle partageait, enfant, avec ses parents. Qui dit « Dictionnaire amoureux » suppose évocation de ces amours qui unissent l’auteur à l’objet dudit dictionnaire, depuis cet heureux hasard qui a fait habiter la dame au 22 avenue Mozart jusqu’à ses rencontres avec diverses stars (Eve et Karajan, Eve et Horowitz…). L’ouvrage prend aussi un petit côté « liste de mes envies », quand est cité tel ou tel interprète qui trouve particulièrement grâce à ses yeux, messieurs Villazon, Jaroussky et bien d’autres. Madame Ruggieri n’en omet pas pour autant de faire œuvre d’historienne, et les quelque huit cents pages de ce volume montrent qu’elle a écumé les lettres du compositeur, ce qui lui permet plusieurs entrées assez amusantes : « Animaux », « Cadeaux », « Signatures », par exemple, ou ces jeux de piste à travers les villes d’Europe pour examiner les partitions manuscrites aujourd’hui fragmentées ou pour visiter les diverses adresses habitées par Wolfgang. On appréciera aussi le portrait des Mozart père et fils en fous de shopping, avec description de leurs habits également tirée de la correspondance. Clairement, c’est son talent de conteuse, longuement peaufiné au cours de ses années au service de la radio et de la télévision, qui permet à Eve Ruggieri de trouver ce ton inimitable de confidence à chacun de ses lecteurs. Et sans doute est-ce de bonne guerre si elle mentionne ici et là son employeur actuel, qu’elle prétend être « la première des radios culturelles ».
Néanmoins, comme on peut supposer que ce livre connaîtra plusieurs éditions successives, signalons quelques points sur lesquels il pourrait être amendé.
D’abord, on s’étonne sur le plan méthodologique que les chanteurs qui ont créé des œuvres de Mozart soient classés tantôt selon leur prénom, tantôt selon leur nom : on trouve ainsi « Josepha Duschek » à la lettre J, « Nancy Storace » à la lettre N, mais « O’Kelly, Michael » à la lettre O.
Madame Ruggieri a parfois un italien un peu sujet à caution : Le gelosie fortunate, opéra d’Anfossi pour lequel Mozart composa l’air « Un bacio di mano », ne se traduit certainement pas par « Le riche jaloux » (45), mais par « Les jalousies heureuses » ; farfallone, comme Figaro appelle Chérubin – et non farfaleone (259) – ne signifie pas « petit papillon », mais plutôt « gros papillon ». Et en anglais, la double cream à laquelle Georg Solti comparait la voix de Renée Fleming ne renvoyait pas à la crème chantilly (220) mais à une crème épaisse, à 45% de matière grasse.
La terminologie employée pêche parfois par imprécision. Dire que Sesto et Annio sont des « rôles de travestis » (156) laisse entendre que ces personnages sont des drag queens, alors qu’il ne s’agit que de « rôles travestis ». Musicalement, on comprend mal pourquoi est appelé « trille » (692) le R roulé de Kathleen Battle au début du « Ruhe sanft » de Zaide, et il n’est pas certain que « Non più andrai » soit une « cabalette » (309). Le manuscrit de Don Giovanni, récemment exposé à Garnier, comprend-il « huit » (519) ou « six » (520) cahiers ? Huit. Dommage aussi que la citation de Charles de Boigne « les basses-tailles ne sont faites que pour chanter les tyrans… » devienne ici « les basses-tailles ne sont pas faites pour chanter les tyrans… » (262). Plus loin, l’épitaphe de Maria Malibran est transcrite avec plusieurs erreurs qui en anéantissent les alexandrins (516).
Basilio des Noces n’est pas un jardinier (603), et « Così fan tutte le belle » n’est pas un air (235) mais une simple phrase du trio du premier acte. Idomeneo n’est pas le « deuxième » opera seria de Mozart « après Lucio Silla » (404), mais le troisième puisque l’on peut difficilement considérer Mitridate autrement que comme un opera seria. Pourquoi écrire « Créé par un castrat, le rôle d’Idamante a été depuis interprété par des ténors » (411) sans préciser qu’il ne s’agit pas là d’un caprice mais simplement d’une réécriture par Mozart lui-même pour la reprise d’Idomeneo en 1786 ? Pourquoi consacrer une longue entrée à Métastase si c’est, par ailleurs, pour taper systématiquement sur ses livrets (150, 177) ? Sans parler du mystérieux opéra, forcément posthume, que Stéphane Lissner commanda pour le festival d’Aix à « Yukio Mishima », qui aurait été bien en peine d’en composer un, quand bien même il n’aurait pas été mort un quart-de-siècle auparavant (316)…
Détails, dira-t-on. Oui, sans doute, puisqu’ils n’empêchent aucunement ce livre de caracoler en tête des ventes, ce qu’il doit bien avoir mérité d’une façon ou d’une autre.