Sony Classical poursuit, avec une constance qui force l’admiration, la réédition de son inépuisable fonds lyrique, lequel comprend, faut-il le rappeler, le catalogue RCA, riche en pépites. C’est aujourd’hui au Freischütz enregistré par Marek Janowski en 1994, à la tête du Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, d’être remis à l’honneur. Voilà un enregistrement qui ne manque pas d’atouts. Ceux-ci sont à chercher tant du côté du chef que des chanteurs.
Marek Janowski est ici en terrain connu, cela s’entend. Ce répertoire lui est à l’évidence naturel. Attentive aux climats, soucieuse de la progression dramatique, sachant valoriser les nombreuses beautés de cette partition, la direction du chef frappe d’abord par son équilibre. Certes, on cherchera en vain ici les sortilèges orchestraux de Carlos Kleiber, ou les béances métaphysiques de Wilhelm Furtwängler (deux directions qu’il faut impérativement connaître dans cette oeuvre), mais on louera la volonté permanente de ne pas forcer le trait, caractéristique que l’on retrouve dans la récente intégrale Wagner du chef. Entre le risque de trop tirer le Freischütz vers des cieux bayreuthiens (tendance bien présente dans la discographie), au point d’en faire parfois le numéro 0 de l’opus wagnérien, et celui, inverse, d’en faire un Sinsgspiel quasi mozartien, Janowski opère une synthèse aboutie. La construction de l’ouverture en propose un parfait résumé. Le chef a su, en outre, s’entourer d’une distribution particulièrement soignée.
Au premier rang, on placera sans l’ombre d’une hésitation le Max de Peter Seiffert, sans doute le meilleur de toute la discographie à avoir trouvé les chemins des studios. L’air « Durch die Wälder, durch die Auen » est tout simplement d’anthologie. Il a tout : un timbre étincelant, une émission insolente de franchise, un héroïsme qui jamais ne confine à la lourdeur (la fréquentation de grands rôles wagnériens ne se fait pas encore trop sentir). Loin de tant d’incarnations prosaïques ou simplement solides, on tient là, pour tout dire, l’idéal du rôle, et non pas, comme trop souvent, un Siegmund, un Danilo ou un Evangéliste égaré dans la Gorge aux loups.
De même, on fond devant l’Ännchen de Ruth Ziesak, miracle de fraîcheur jamais acidulée, de jouvence et d’insouciance vocales comme on aimerait en rencontrer plus souvent. Un délice, tellement préférable aux soubrettes aigrelettes trop souvent distribuées dans ce rôle.
Le Kaspar de Kurt Rydl est efficace, souvent impressionnant, sombre et menaçant sans en faire des tonnes. La fatigue vocale est néanmoins perceptible dans les vocalises finales de « Schweig, schweig ».
Les seconds rôles bénéficient de la même attention: Andreas Schmidt en Ottokar, Matthias Hölle en éremite, Roman Trekel en Kilian, c’est carrément du luxe : Bayreuth n’est pas loin.
La seule paille de cette distribution concerne, hélas, le rôle d’Agathe. Sharon Sweet est plus occupée à jongler avec ses registres qu’à rendre justice aux pages sublimes que Weber a écrit pour le rôle : l’aigu est crié, la conduite de la ligne souvent délicate, l’émission encombrée d’un instrument définitivement trop lourd… « Wie nahte mir der Schlummer » est par moment pénible, et la poésie miraculeuse de « Und ob die Wolke sie verhülle » est totalement absente. Si Max déploie tant d’efforts, au point de pactiser avec le diable, ce n’est à l’évidence pas pour entendre sa promise lui chanter des refrains… Les mânes de la divine Elisabeth Grümmer, inapprochable dans le rôle, peuvent être tranquilles. On regrette – et comment ! – que le producteur de cet enregistrement n’ait pas, alors, croisé la route d’Anne Schwanewilms…
Reste que si l’on met de côté cette réserve – mais elle est de taille – on tient là sans doute un des meilleurs enregistrements studio contemporains de l’oeuvre.