En 2005, pour son coup d’essai wagnérien, Olivier Py réussissait un coup de maître, avec un inoubliable Tristan présenté à Genève en février, suivi en septembre, sur la même scène, d’un sulfureux Tannhäuser. S’en était suivi un long silence wagnérien, de dix ans, rompu seulement en 2015, avec Le Vaisseau fantôme à Vienne, que suivrait en 2018 un Lohengrin, à Bruxelles. C’est maintenant seulement que le label Naxos commercialise en DVD ce Fliegende Holländer qui avait marqué les retrouvailles du metteur en scène avec un compositeur qui lui avait si bien réussi. Evidemment, en dix ans, beaucoup d’eau a passé sous les ponts, et surtout, Olivier Py a signé beaucoup de productions d’opéra, trop peut-être. Impossible, lorsque l’on travaille pour la scène lyrique à un rythme aussi soutenu, de se renouveler à chaque fois. Difficile de ne pas donner parfois l’impression de pratiquer l’autocitation.
Avec la fidèle complicité de Pierre-André Weitz, Py « fait du Py », bien entendu, mais il le fait très bien. Bien sûr le décor tournoie, se décompose et se recompose de manière vertigineuse, dans un noir et blanc superbement éclairé, mais on se dit aussi parfois que la mécanique tourne un peu à vide. En rester là serait pourtant passer à côté de tout ce qui est réussi dans ce spectacle fort, où l’œuvre entre en résonance avec les grands thèmes de la Pyétude. Avec son obsession de la rédemption, sa présence du mal et de l’enfer, Le Vaisseau fantôme parle à la Pyété, qui nous montre le diable en personne évoluant au milieu des acteurs du drame. Les tics pyesques sont juste là comme une légère piqûre de rappel : Senta écrit à la craie Erlösung sur le décor, et ce mot se changera finalement en Erwartung, et Satan se maquille en diable devant une petite coiffeuse à miroir éclairé d’ampoules ; ce même figurant-danseur revient, entièrement nu, jonché sur une balançoire, tandis qu’une figurante nue avait été Senta vendue au Hollandais par son père. Pour le reste, cet univers sans bateau – à moins que la pointe triangulaire du décor rotatif et monumental soit censée évoquer la proue d’un paquebot ? – et sans matelots, où la mer fait quand même son apparition dans la dernière scène, renvoie à l’esthétique des films muets, avec robes années 1920 pour les dames, costumes trois pièces pour les messieurs. « Si à son père elle est fidèle, elle le sera aussi à son époux » espère le Hollandais : est-ce pour cela que le personnage apparaît d’abord comme un sosie du père de Senta (non pas Daland ici, mais Donald, version originale oblige) ?
En 2009, le très baroqueux Marc Minkowski dirigeait Les Fées au Châtelet. En 2013, année du bicentenaire de la naissance de Wagner, il avait commencé par reconstituer le programme proposé par Wagner aux Viennois en 1863, puis avait enchaîné quelques mois plus tard avec un projet assez fou, donnant la même soirée Le Vaisseau fantôme de Louis Dietsch, suivi par Der fliegende Holländer. Ce concert, et le disque qui en avait découlé, avaient permis au chef de français de roder son Wagner. Deux ans après, si Minkowski dirige toujours le même orchestre – le sien, avec son identité sonore qui tient à l’utilisation d’instruments anciens –, au Chœur de chambre philharmonique estonien a succédé l’excellent Chœur Arnold Schönberg, partenaire de la plupart des spectacles donnés au Theater an der Wien.
Parmi les solistes, on retrouve aussi plusieurs des protagonistes du Fliegende Holländer donné en mai 2013, à commencer par Ingela Brimberg, dont on a pu entendre la Senta à Genève, à Caen ou à Berlin. On reste admiratif devant cette incarnation intelligente, où la soprano suédoise tire le maximum de ses moyens vocaux et scéniques. Propulsé sous le feu des projecteurs lorsqu’il fut amené à remplacer Evgeny Nikitin à Bayreuth en 2012, Samuel Youn est lui aussi devenu un des titulaires avec lesquels il faut aujourd’hui compter : si l’on a connu des Hollandais au timbre plus personnel, sa prestation est suffisamment fouillée pour tenir la route, avec une scène finale particulièrement réussie. En 2013, Bernard Richter n’aurait dû être que Steuermann mais c’est finalement Georg (Erik dans la version traditionnelle) qui lui fut confié, et il y a tout lieu de se réjouir lorsqu’on retrouve ici le ténor suisse, toujours très en voix. Lars Woldt propose le juste dosage de comique pour son personnage, sans perdre de vue ses exigences strictement vocales. Si le Pilote de Manuel Günther paraît vraiment très léger de timbre, la Mary d’Ann-Beth Solvang est bien le mezzo chaleureux que l’on attend.