Connu pour ses engagements humanistes, Spohr rencontrerait-il de nouveau le succès qui en fit l’égal de Schumann et de Mendelssohn, dont il était admiré ? Les enregistrements réalisés Outre-Rhin se multiplient. Et, à côté du Jugement dernier [Die letzten Dinge], plusieurs fois gravé, voici que nous découvrons La chute de Babylone, son ultime oratorio. C’est une première mondiale.
Avant ceux de Mendelssohn – Elias viendra 5 ans après – cet oratorio connaîtra un véritable triomphe. La Malibran tomba en larmes lors de son exécution. « L’œuvre la plus importante depuis Haendel » lisait-on dans The Morning Chronicle au lendemain de la création anglaise. La partition influença Brahms dont le Requiem allemand traduit plus d’un écho.
Hélène Cao, signataire du seul ouvrage en français consacré à Spohr, assassine Der Fall Babylons en une dizaine de lignes. L’a-t-elle lu ou écouté ? Bien que la BNF en conserve le manuscrit de la version chant et piano, datée du 15 octobre 1840, rien n’est moins sûr. Avec le recul, débarrassé de tout préjugé, on peut affirmer qu’il s’agit d’un authentique chef d’œuvre.
Le sujet, emprunté à la Bible (Daniel, 5), avait été traité par Haendel, et sera repris par William Walton. C’est en quelque sorte la suite du Nabucco de Verdi. L’histoire de la captivité des Juifs à Babylone, sous le règne de Nabuchodonosor est connue. Lorsque, au cours d’un festin, Belshazzar, son successeur, ordonne l’utilisation de la vaisselle d’or et d’argent dérobée par son père au temple de Jérusalem, une main inconnue trace des mots incompréhensibles sur la muraille (tableau de Rembrandt). Daniel prédit la chute de Babylone, la mort du roi et le partage de l’empire entre les Mèdes et les Perses, conduits par Cyrus (Darius dans la Bible) qui permettra le retour des Juifs en Judée et la reconstruction du Temple.
L’action est partagée entre Belshazzar, Nicotris, sa mère, Cyrus, Daniel, un devin et des personnages secondaires (femmes juives, soldats). Le chœur participe pleinement au drame, tout à tour juifs, courtisans, prêtres de Bel, soldats perses, soldats babyloniens, femmes juives, femmes de Babylone, avec des combinaisons variées qui se renouvellent en permanence. La qualité de l’écriture, la maîtrise formelle et l’expression concourent à faire de l’ouverture, seule connue au disque jusqu’alors (Hyperion, 2009) une page remarquable. Le premier chœur, plainte tourmentée des Juifs sur leur sort, est empreint d’un romantisme convaincant, sans concession, savant et raffiné, puissant aussi. Aucun des trente-et-un numéros de la partition ne laisse indifférent. Comme il se doit, les finales de chacune des deux parties sont des sommets. Les ensembles, duo, trio et quatuor, sont aussi réussis que les arias et les récitatifs.
On pouvait redouter un enregistrement quelque peu provincial, saturé de bonnes intentions, puisque réalisé par des interprètes basés à Braunschweig, ville natale de Spohr, qui s’attache à lui rendre sa gloire passée. Le chef ? un inconnu, qui préside la Société Spohr et dirige le KonzertChor, Matthias Stanze, est une révélation, autant que l’ouvrage qu’il défend avec bonheur. Son chœur est remarquable par son homogénéité et son sens des couleurs. La réputation des solistes, jeunes et prometteurs, n’a pas encore franchi les frontières. Pour autant, la réalisation est particulièrement soignée, très professionnelle, animée par la conviction de chacun qu’il participe à la résurrection d’un chef d’œuvre, ce qui est le cas. Daniel est confié à Matthias Stier, un ténor qui devrait faire son chemin : l’émission est claire, aisée, égale dans tous les registres, et son chant convaincant. Dirk Schmidt, baryton, nous offre , entre autres, un air avec choeur (« Uber Babylon soll flammen ») de toute beauté. La femme juive, Ekaterina Kudryavtseva, chante 2 airs et un duo. La voix de soprano est pleine, longue et séduisante. Anne Schuldt, mezzo, remplit fort bien son contrat. La basse bulgare Rossen Krastev donne une vie singulière à Belshazzar.
Il y a un mois, l’œuvre était donnée en Suisse, à Zürich (Neumünster) pour la première fois, et y a fait forte impression. Puisse cet enregistrement susciter une large diffusion de ce magnifique oratorio.
Un notice riche, en allemand et en anglais, remarquablement documentée, comportant le livret, accompagne les CD.