Dix années passées dans les studios d’enregistrements, dix années écoulées depuis ce Barbier de Séville pour lequel l’Opéra de Paris avait choisi de faire confiance à mademoiselle DiDonato, une jeune artiste venue d’outre-Atlantique et qui auditionnait après avoir obtenu un 2e prix au concours Operalia. C’est cette décennie que vient fêter le double album au titre en forme de calembour, « ReJoyce ! » Pour l’occasion, Erato (ex-Virgin) a pioché dans les récitals et les intégrales figurant à son catalogue. « DivaDivo » se taille la part du lion, avec cinq morceaux (Le Nozze di Figaro, I Capuleti et i Montecchi, La Damnation de Faust, La Cenerentola, Ariadne auf Naxos) auxquels s’ajutent quelques chutes, trois airs vraisemblablement enregistrés au même moment et présentées comme des inédits au disque : « Amour, viens rendre à mon âme » de l’Orphée de Gluck, « Parto, parto » et « Aprite, presto, aprite » où elle est à la fois Cherubino et Susanna. Les autres récitals de Joyce DiDonato sont un peu moins sollicités : trois plages sont tirées du récent « Drama Queens » (Porta, Orlandini et Giacomelli), trois autres de l’hommage à Colbran (Il Barbiere, Maometto II et La Donna del lago), trois encore empruntées à « Furore », le disque Haendel dirigé par Christophe Rousset (« Crude furie », « Morirò, ma vendicata », « Where shall I fly ? »), deux du volume de duos haendéliens gravé avec Patrizia Ciofi (Rodelinda et Teseo). Le reste provient d’intégrales diverses : Radamisto et Ariodante avec Curtis, toujours, Ercole sul Termodonte de Vivaldi, le Stabat Mater de Rossini avec Anna Netrebko, l’opéra américain Dead Man Walking…
Le répertoire de Joyce DiDonato couvre trois siècles et demie, de 1643 (L’Incoronazione di Poppea) à 2000, avec le susdit Dead Man Walking, de Jake Heggie, mais il n’est pas défendu de penser que 5 minutes et demie de la musique de monsieur Heggie, c’est infiniment trop, sur les deux fois 77 minutes censées résumer la carrière de la mezzo américaine. Que n’a-t-on inclus ici un des superbes Massenet qui illuminaient l’album « DivaDivo » ? Enfin, au lieu de regretter les absents, savourons plutôt les présents. Tiercé gagnant : Haendel, avec huit plages, Rossini, avec cinq, et Mozart, avec quatre. Les autres compositeurs n’ont droit qu’à quelques miettes, mais avec une nette prédominance du XVIIIe siècle, « Drama Queens » oblige. C’est bien d’un « best-of » qu’il s’agit, même si l’on pourra en discuter le détail, et trouver que certains airs sont un peu moins best que d’autres. On jugera l’orchestre d’Alan Curtis bien pesant dans « Ombra mai fu », un autre inédit au disque, on estimera peut-être que les adieux d’Octavie sont presque trop sensuels, pas assez marmoréens. Mais chez Mozart, Joyce DiDonato est un magnifique Sesto, elle est surtout une Elvira passionnée. Son Orphée virtuose donne envie de l’entendre dans d’autres Gluck, car elle serait sans doute une superbe Iphigénie (l’Opéra de Paris pourrait peut-être la convaincre de succéder à Sophie Koch dans une éventuelle reprise d’Alceste).
Ce qu’on peut souhaiter à Joyce DiDonato pour les dix années à venir ? Dans le répertoire baroque, un peu moins d’Alan Curtis et beaucoup plus de Christophe Rousset. De manière générale, plus de chefs et de metteurs en scène qui la pousseront jusque dans ses derniers retranchements et qui, sans rien lui faire perdre de sa maîtrise technique, porteront à l’incandescence un talent dont le flamboiement se manifeste surtout dans les rôles où elle fut naguère particulièrement bien encadrée, comme cette Déjanire de Hercules où l’on put l’entendre au Palais Garnier, soutenue par Luc Bondy et William Christie.