Comme l’a presque dit Shakespeare, le hasard fait d’étranges compagnons de disque. Bellini, Glinka et Schubert sur une même galette, ce n’est pas si courant. Ce rapprochement international, on le doit à la fascinante entreprise lancée par le petit label Vivat, dont nous saluions le principe, il y a un peu plus d’un an, lors de la parution du premier volume : présenter, décennie par décennie, la production européenne en matière de mélodie, de l’Atlantique à l’Oural, de 1810 à 1910.
Pour cette deuxième livraison, force est de constater une fois encore l’écrasante domination de Schubert, avec dix plages sur les vingt et une que compte le disque. Schubert étant décédé en 1828, c’est également la dernière fois qu’on l’entendra dans cette série. Ses lieder sont ici partagés entre trois interprètes – signalons au passage que l’équipe de chanteurs est intégralement renouvelée, Ann Murray n’étant pas revenue en deuxième saison, contrairement à ce qui avait été annoncé. Le talent schubertien de Christopher Maltman était jusqu’ici surtout connu grâce aux concerts publiés dans la série « Wigmore Hall Live » et grâce à sa participation à l’intégrale réalisée par Hyperion. Lui revient le privilège d’ouvrir et de clore le programme avec deux pages superbes, le célèbre « Taubenpost » tiré du Schwanengesang et l’injustement moins fréquenté « Auf der Bruck » (ou « Brücke »), pourtant aussi bondissant que l’introduction de La Belle Meunière. Le baryton brille aussi dans le « Roi des aulnes » version Loewe, ainsi que dans « Herr Oluf » du même. John Mark Ainsley a jusqu’ici eu moins d’occasions de graver des lieder, et l’on espère le retrouver dans les volumes suivants. Quant à Sarah Connolly, il pourrait bien s’agir de la première fois qu’elle chante Schubert au disque ; elle prête ici sa voix chaude aux trois mélodies inspirées par La Dame du lac de Walter Scott, dont le fameux « Ave Maria ».
Les autres artistes réunis pour illustrer cette décennie1820-1830 sont beaucoup moins médiatiques. L’unique compositeur français retenu, Louis Niedermeyer – dont Véronique Gens chante un superbe extrait de l’opéra Stradella dans son récent disque Visions –, est représenté par une mise en musique du Lac de Lamartine, qu’interprète le ténor Robin Tritschler dans un français tout à fait correct. Qu’on n’aille pas croire pour autant que la distribution soit exclusivement britannique. Pour les trois mélodies de Glinka, dont l’exquis « Skaji zatchem », Vivat a fait appel à l’excellente soprano arménienne Anush Hovhannisyan, dont le timbre « nétrebkien » fait merveille dans ces trois trop courtes pages. Quant au ténor portugais Luis Gomes, sa voix ensoleillée est la bienvenue dans les trois mélodies de Bellini.
Si toutes ces pages ne sont pas d’une égale valeur musicale, elles n’en composent pas moins un charmant bouquet à l’intérêt historique incontestable, et l’on espère pouvoir en apprécier encore huit autres au moins. Faisons confiance à Malcolm Martineau pour mener à terme ce projet avec toujours autant de discernement dans les choix et de pertinence dans son accompagnement.