Si les voies du Seigneur sont impénétrables, les voix qui mènent à Broadway sont loin d’être aussi hermétiques. A fortiori lorsque la sensibilité d’une Angélique Pourreyron se fait la messagère de ces Chemins de Broadway. Le pari de la jeune soprano n’en est pas moins risqué eu égard à l’hétérogénéité esthétique des œuvres et aux couleurs et atmosphères aussi diverses que contrastées qu’elles requièrent. Un album où l’originalité et la pertinence du programme le dispute à l’éclectisme inspiré des auteurs et aux influences qui les ont nourri. Mais l’intelligence interprétative n’a ici d’égale que le talent qui la crédite. Deux vertus que l’interprète a pu cultiver en étant à bonne école. Notamment outre-Atlantique où elle s’initie aux subtilités du jazz et de la comédie musicale à la High School for the Performing and Visual Arts à Houston avant d’intégrer le Conservatoire supérieur d’Amsterdam et d’être aujourd’hui membre de l’ensemble vocal Aedes.
Angélique Pourreyron développe aussi bien une sensualité opératique aux purs aigus de porcelaine chez Horn qu’elle est capable de jouer de tendresses sopranistes flirtant avec les troubles séductions d’un timbre androgyne pour incarner le jeune marin de Britten. On ne peut qu’être confondu par la richesse d’une telle variété d’accents ainsi que par le bonheur de l’émission et du phrasé qui ne cherchent jamais la performance. Angélique Pourreyron n’a par exemple nul besoin de recourir à des artifices de détimbrages pour forcer l’empathie notamment dans la redoutable « Complainte de Mackie Messer ». Elle demeure fidèle à l’évidence de la mélodie, sans emphase, dans sa spontanéité native. Chez elle, l’émotion vécue lui épargne les écueils de la complaisance et les déséquilibres d’une surexposition dans la projection. Notamment dans le célèbre mais redoutable « I Feel Pretty » du West Side Story de Bernstein. Une page aux trompeuses facilités superbement enlevée jusque dans les franchissements d’octaves dont cette artiste prend manifestement plaisir à se moquer des difficultés ! L’éloquence est servie par une diction rayonnante d’aisance et les raffinements d’une technique qui confèrent à son émission, homogénéité, élégance et tenue.
L’autre bonheur de ce programme habilement pensé et articulé est de nous réserver quelques belles découvertes. A l’image de ces délicieuses romances anglaises d’Alexander Lee et de Charles Edward Horn. Ou de nous remettre en mémoire la jubilatoire fantaisie de Cabaret de Kander, ou la délicate nostalgie d’ « Over the Rainbow » de Harold Arlen. Il fallait sans doute la sensibilité d’une telle artiste à l’engagement sincère et sans affectation pour nous rappeler une nouvelle fois qu’il ne saurait y avoir de répertoires dits légers ou de série B : il suffit d’en comprendre les ressorts émotionnels et d’en réveiller les subtilités d’écritures. Angélique Pourreyron possède au superlatif les capacités à trouver le juste ton pour chaque pièce et à en mettre en exergue les singularités. Il faut souligner qu’elle est en ce sens on ne peut mieux entourée. La trop discrète Béatrice Bern s’affirme une fois de plus s’il en était besoin comme l’une des clarinettistes les plus douées de sa génération. Quant à Jean-Pierre Billet, ancien élève de Lagoya, il ne lui cède en rien s’agissant de l’intelligence du jeu. Ce qui nous vaut quelques soli magistraux et surtout un « Abschiedsbrief » de Weill pour clarinette et guitare d’une rare poésie.