De la scène au disque, il y a souvent un fossé d’émotions. Encore heureux ! Il ne resterait plus sinon qu’à fermer les théâtres lyriques et à vivre l’opéra égoïstement dans le confort stéréophonique de son salon. Pour preuve, cette Semiramide de Bad Wildbad qu’en 2012 Maurice Salles qualifiait d’historique (voir son compte-rendu), et qui, enregistrée, ne soulève pas le même enthousiasme.
La direction d’Antonino Fogliani n’est pas en cause. Qu’elle « porte à bout de bras l’immense architecture dressée par Rossini », même privé d’image, on le comprend et on l’entend. L’orchestre vit, commente, relie effectivement les différents numéros qui composent l’ouvrage, treize dans cette version conforme à l’édition philologique établie par Alberto Zedda, jusqu’à donner au récit son indispensable continuité. L’attention portée au récitatif, la recherche de sens, la liberté d’interprétation, avec ce regard parfois sarcastique relevé à juste titre par notre confrère, maintiennent l’intérêt en éveil d’un bout à l’autre de l’ouvrage.
Que la Semiramide d’Alex Penda subjugue parait moins évident. La présence physique, qui semble avoir été un élément d’appréciation positive, ne peut ici remplir son office. Reste la voix, étendue certes mais sans excès, expressive déjà moins mais agile, pas exactement. La vocalise est trop rapide pour exprimer. Le vibrato prononcé rend le chant oscillant, comme un texte que l’on écrirait d’une main tremblante. Cette agitation traduit-elle « l’instabilité et les tourments d’un être que son chant met à nu » ? Peut-être mais si, dans le feu du récit, l’interprétation pouvait transporter, écoutée d’une autre oreille, elle n’impressionne pas. Par un effet de balancier, Lorenzo Regazzo qui, en concert, paraissait « en-deçà de sa complice dans le crime » reprend l’avantage. Le timbre n’est pas des plus phonogéniques mais cet Assur connait aussi bien le vocabulaire que la syntaxe rossinienne et le personnage est intelligemment dessiné – autoritaire, pervers et dans son ultime scène suffisamment héroïque pour empoigner. Sans insuffler à Arsace une ardeur démesurée, Marianna Pizzolato propose du commandeur des armées de Babylone un portrait crédible qui, lui aussi, bénéficie d’une bonne maitrise de ce répertoire. John Osborn réussit l’exploit d’aligner toutes les notes des deux airs d’Idreno sans jamais susciter le moindre frisson. Même « Là dal Gange », cette première joute vocale avec Assur si électrique par ailleurs, tombe à plat. Le chant, servi par un timbre d’un métal mat, plus proche du baritenore que du contraltino, est net, propre, précis et totalement inerte. En Oroe, Andrea Mastroni ne fait pas dans la demi-mesure. Des chœurs irréguliers, meilleurs au féminin qu’au masculin, ajoutent encore à la perplexité. Les collectionneurs, les esprits curieux et les inconditionnels de Rossini ne pourront faire l’impasse sur cet enregistrement, les autres en resteront à la version dirigée par Alberto Zedda à Pesaro en 1992, inégalée à ce jour, en attendant qu’un label ait la bonne idée de proposer l’enregistrement de la soirée légendaire du 7 mars 2001 à Liège (Zedda, Blake, Podles, Takova).