En ces temps commémoratifs, L’Avant-Scène Opéra entreprend le lifting de ses plus vieux exemplaires wagnériens et verdiens. Est-ce à chaque fois indispensable ? Certes, les numéros antérieurs aux années 2005 sont en noir et blanc mais le nécessaire passage à la couleur impose-t-il de revoir également les textes ? Rien ne parait moins certain à la lecture de cette nouvelle édition de Rigoletto. Non que la plupart des articles qui la composent ne viennent déparer la qualité d’une collection dont on ne vantera jamais assez les mérites. Le guide d’écoute d’Emmanuel Reibel, les discographies, vidéographie, bibliographie mises à jour par Jean Cabourg, Chantal Cazaux et Pierre Flinnois sont des mines d’information. Ceux qui privilégient les mots aux notes se réjouiront de la large part réservée à la source littéraire du livret, une tendance marquée depuis plusieurs numéros. Hugo se voit gratifier de trois articles sur les six qui composent les « regards sur l’œuvre ». Le mélomane y trouve évidemment moins son compte.
Louis Bilodeau prétexte la bosse de Rigoletto pour passer en revue les héros lyriques disgracieux, ce qui, d’Azor (Guétry) à Yvonne, princesse de Bourgogne (Boesmans), constitue une promenade divertissante à défaut d’être édifiante. Michel Lehmann théorise autour de la trilogie populaire (Rigoletto, Il trovatore et La Traviata) et à coups savants de « poiétique » et de « posizioni », réinvente la roue de la dramaturgie verdienne. Seul finalement, Olivier Rouvière en lançant la controverse autour du baryton propose un regard un tant soit peu profitable.
Malgré ses quelques faiblesses, ce numéro tiendrait largement la route si la comparaison avec l’édition précédente ne jouait en sa défaveur. Le commentaire littéraire et musical de Gilles de Van, grand spécialiste de la question verdienne, auteur chez Fayard de Verdi, un théâtre en musique qui contribua en des temps moins cléments à réhabiliter le compositeur, possédait une largeur de vue inappréciable, que l’on cherchera en vain dans ce nouveau volume.
Le profil musical de Gilda décortiqué par Wolfgang Osthoff ; la psychanalyse de Verdi échafaudée à partir de son œuvre par Jean-François Labie dans sa « voix du remord » ; la tension dramaturgique de Rigoletto et ses conséquences sur la typologie vocale de ses interprètes, analysées par Alain Arnaud ; « La voix chez Verdi » proposée en annexe par Rodolfo Celletti, nous entrainaient sur des rivages autrement instructifs. Pour un peu, alors que nous ne sommes pas du genre à dire « c’était mieux avant », cette mise en balance des deux éditions nous rendrait nostalgique d’un passé où L’Avant-Scène Opéra nous semblait parler davantage, et avec plus d’éloquence, de ce qui constitue sa raison d’être – et aussi d’une certaine manière la nôtre – : l’opéra. Tous les articles du numéro initial consacré à Lohengrin, paru en 1992 et entièrement revu en décembre dernier, ont été rendus accessibles gratuitement sur le site de L’Avant-Scène Opéra. Espérons qu’il en sera de même pour Rigoletto.
Réponse de Chantal Cazaux, rédactrice en chef de L’Avant-Scène Opéra
Depuis quelques mois, Lohengrin comme Rigoletto étaient épuisés à notre catalogue, et régulièrement demandés : c’est la première raison, et la plus évidente, de leur nouvelle présence dans la collection.
Ne souhaitant pas servir à nos abonnés de longue date un second volume qui soit identique au premier et sachant que les nouveaux lecteurs trouveront ce dernier à terme en PDF sur notre site (nous ne sommes que trois dans notre équipe… il faut donc un peu de patience si vous ne trouvez pas ce PDF présent dès le jour où vous recevez le nouveau volume…), il me paraît plus honnête et plus stimulant de bâtir un nouveau sommaire qui soit complémentaire du premier, et non doublonnant (imaginez les critiques – les vôtres, peut-être ? – si nous « re-servions » le précédent contenu, fût-il excellent, au prix d’un nouveau numéro…). D’où, cette fois comme à d’autres occasions que vous soulevez, une orientation littéraire quand celle du précédent était très musicale. D’où aussi, je vous l’avoue, ma réaction un peu « tiquante » au mot de « lifting », qui ne me semble pas tout à fait adapté au travail de fond réalisé…
Cette dimension littéraire me semble toutefois à relativiser, et je crois que vous donnez de notre numéro Rigoletto une idée un peu faussée : ce ne sont pas trois « articles » qui sont consacrés à Hugo, mais un seul (celui, repris, de JM Brèque), agrémenté de deux textes (brefs) de Hugo lui-même. Si l’on considère l’ensemble des nouvelles études, bien plus longues et, surtout, originales, ce sont bien toutes les trois (Lehmann, Rouvière & Bilodeau) qui sont consacrées à l’univers de l’opéra !
J’espère que ces quelques explications vous permettront de considérer notre travail éditorial dans son ensemble – notamment lors des nouvelles éditions d’anciens titres, un exercice qui est certes toujours un défi. L’ombre des « grands anciens » (… numéros de l’ASO) est certes au-dessus de nous, mais nous n’essayons pas de la remplacer – tout simplement, de la renouveler à la lumière de l’identité actuelle de l’ASO, ayant évolué depuis, et sachant qu’elle chemine toujours à nos côtés à notre catalogue PDF…