Pour Michel Foucault, dans l’incipit de Surveiller et punir, le système carcéral s’est constitué, des siècles durant, dans l’idée qu’« [i]l est juste qu’un condamné souffre physiquement plus que les autres hommes ». La médiatisation de la prison des Baumettes à Marseille en 2012 rappelle que la question des conditions de détention des prisonniers demeure encore brûlante. Ce n’est pas tout à fait un hasard si Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, détracteur de la peine de mort qu’il a incliné à faire abolir en 1981, s’est intéressé au personnage de Claude Gueux dans le roman éponyme de Victor Hugo, un homme condamné et révolté entre quatre murs.
Immortalisant la création de Claude, le 27 mars 2013 (voir le compte-rendu), fruit d’une collaboration féconde entre Robert Badinter, librettiste pour l’occasion, et le compositeur et organiste Thierry Escaich, ce DVD témoigne de la réussite de cet opéra qui tient tout d’abord à la mise en scène magistrale d’Olivier Py. Celui-ci a en effet su rendre avec intelligence et ingéniosité toute la dureté et la froideur de l’enfer carcéral dans lequel les personnages, victimes ou bourreaux, sont réduits à leur état d’humanité primitive. Les plans d’ensemble nous permettent d’observer les allers retours incessants des détenus dans leurs cellules ainsi que des bêtes en cage, et les structures métalliques tout comme les lumières blanchâtres de Bertrand Killy achèvent de nous plonger dans une ambiance austère et suffocante. Pour Robert Badinter, la prison est elle-même un personnage à part entière, monstre qui engloutit et détruit les prisonniers comme la mine avaleuse d’hommes du Germinal de Zola.
La captation permet de considérablement dramatiser le spectacle et offre l’avantage de nous faire voir de plus près le jeu bluffant de Jean-Sébastien Bou qui interprète le rôle principal de Claude. Servi par la vraisemblance d’une réalisation qui plus est élégante, le baryton livre une interprétation d’une densité remarquable qui n’a d’égal que sa diction, parfaitement intelligible. Si Hugo décrivait le personnage d’Albin comme un « jeune homme pâle, blanc, faible », Rodrigo Ferreira, ce contre-ténor à la voix éthérée, conserve de ce portrait une attachante fragilité. A travers un cadrage subtil, le tableau de la complicité de Claude et Albin possède la tendresse d’une pieta avant de se mouvoir en un chant d’amour genétien. Enfin, l’apparition en travelling avant de Jean-Philippe Lafont en Directeur est formidable, au sens étymologique du terme, et, vu de près, le chant brutal qui anime son visage de tortionnaire inspire véritablement l’effroi. On regrettera cependant la diction imparfaite de certains interprètes non francophones, comme Philip Sheffield qui interprète le Deuxième personnage, ainsi que la moindre qualité du livret en regard de la musique, comme souvent dans l’opéra en vérité.
En arrière-plan, le chœur et les voix qui s’en détachent émettent un chant d’espoir irréel que Claude, rongé par la faim, semble entendre dans un accès de fièvre. Sous la baguette de Jérémie Rohrer, la musique de Thierry Escaich, inquiétante et sourde à la fois, s’entremêle ainsi d’instants de grâce où se retrouve la verve moralisatrice et humaniste de Victor Hugo : « Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-là, défrichez-là, arrosez-là, fécondez-là, éclairez-là, moralisez-là, utilisez-là : vous n’aurez pas besoin de la couper ».