Gounod a composé près de cent cinquante mélodies. En en réunissant vingt-quatre, le Palazzetto Bru Zane laisse encore bien du pain sur la planche à tous les artistes qui voudraient rendre hommage à l’heureux bicentenaire. On trouve sur ce disque quelques-uns des « tubes » gounodiens, mais pas tous : s’il y a bien « Medjé », la « Sérénade » et « O ma belle rebelle », il n’y a ici ni « Le Soir », ni « Au rossignol »… Dans le livret d’accompagnement, Gérard Condé rappelle aussi que près d’un tiers des cent cinquante mélodies sont en anglais (merci à Georgina Weldon, égérie britannique du compositeur) : le disque en propose trois, ce qui laisse tout de même cette partie de la production assez sous-représentée. Soit, nous attendrons pour cela une autre livraison : Katherine Watson leur a consacré un concert sous l’égide du PBZ à Venise en avril dernier, et l’on peut donc rêver d’une autre parution discographique possible.
En attendant, le Centre de musique romantique française poursuit son entreprise d’autant plus méritante que tous nos compositeurs n’ont pas été également inspirés par le genre. Très bonne pioche néanmoins avec ce cinquième volume, car Gounod eut plus que tout autre l’art de communiquer un charme souverain aux moindres bagatelles qu’il mettait en musique. Aux côtés des plus grands poètes qu’il eut souvent le bon goût de choisir pour ses mélodies, on trouve aussi les inévitables rimailleurs convenus, mais dont il savait incroyablement transcender les platitudes pour trousser quelques pages infiniment séduisantes. Et l’on succombe aussi bien à l’envoûtement d’une pochade comme « Quanti mai » qu’au dépouillement mélancolique de « Le Banc de pierre ».
Et si l’on songe que le seul air de Sapho ayant survécu dans les mémoires, « O ma lyre immortelle », était initialement une mélodie intitulée « Le chant du pêcheur », que Gounod adapta comme finale de son opéra à la demande de Pauline Viardot, on comprend que ces œuvres-là méritent un sérieux coup d’oreille, et pas seulement pour leur veine mélodique : on admirera ici le piano bourdonnant de « Tombez, mes ailes ! », poème adressé par Ernest-Wilfrid Legouvé à une « Petite fourmi sérieuse » (!), ou les audaces harmoniques néo-hellénisantes d’ « A une jeune Grecque ». Une fois de plus, Jeff Cohen s’avère être l’accompagnateur idéal de ce genre de programme, pour un répertoire qu’il maîtrise de longue date.
Et une fois encore, Tassis Christoyannis démontre ici son adéquation, après avoir si bien servi Félicien David, Lalo, Godard, La Tombelle et Saint-Saëns. S’exprimant en français, mais aussi en italien et en anglais, le plus francophone des chanteurs grecs a aussi le plaisir de pouvoir dire dans sa langue le refrain de « Maid of Athens », sur un poème de Byron. Le baryton n’a pas peur de donner de la voix ni de vivre théâtralement ce qu’il a interpréter, sans jamais toutefois basculer dans l’excès de dramatisme, et sans jamais rien perdre du naturel de son articulation. On admire l’art avec lequel il traduit les sentiments de « Medjé », ou la noblesse qu’il confère à la susmentionnée « Chanson du pêcheur », sur un texte de Théophile Gautier rendu célèbre par Berlioz (« Ma belle amie est morte », que Gounod mit deux fois en musique).