En découvrant cette anthologie de 33 plages promettant force « airs pyrotechniques » en hommage aux dessus légers de l’Académie royale de musique, on pouvait craindre une fastidieuse succession d’ariettes. Dans sa présentation, Benoît Dratwicki rappelle toutefois que Mesdemoiselles Petitpas, Fel et Lemière s’illustraient dans un style léger et brillant, mais aussi dans des emplois tragiques, et le disque s’avère très habilement composé.
Grave et pleine d’allure, l’ouverture des Caractères de la Folie de Bernard de Bury n’annonce rien de décoratif. On devine que le florilège a été conçu comme un petit opéra en deux actes. Chaque partie est articulée autour d’une sombre et vaste scène avec chœur, tirée respectivement d’Omphale de Cardonne et Canente de Dauvergne, deux livrets écrits par Antoine Houdar de La Motte en 1700-1701 et remis en musique dans les années 1760 ; quelques moments d’apaisement laissent ensuite place à des réjouissances. De la Pomone de Gervais de 1720 à l’Omphale de 1769, tous les morceaux s’enchaînent avec fluidité, tandis que la judicieuse progression des affects maintient l’intérêt et invente un contexte à chacun extrait.
Devenu incontestable maître de la tragédie lyrique au fil d’exhumations remarquées, György Vashegyi anime l’ensemble avec goût et énergie. L’Orfeo Orchestra brille par sa vivacité comme par ses sombres couleurs, jouant de la finesse et de la densité de cette musique avec un naturel remarquable. Hongrois lui aussi, le Purcell Choir est amplement mis à contribution et s’en tire avec l’éclat requis, même si une prise de son réverbérée en floute parfois les contours. Ces artistes restituent avec panache la pompe de l’opéra français d’alors.
Ils servent superbement plusieurs extraits du génial Rameau – pas les plus courus – ainsi que d’autres compositeurs dont le Centre de musique baroque de Versailles s’emploie ici encore à faire connaître les talents divers. Si Dauvergne, Boismortier, Gervais, Royer et Mondonville sont aujourd’hui un peu sortis de l’ombre, Bury et Cardonne sont des noms nouveaux. Du second, on découvre une scène infernale d’Omphale d’un bel intérêt, tandis que le lyrisme de Dauvergne séduit dans Canente. Cette nymphe tourmentée y apaise le chœur à la manière d’Orphée aux Enfers : hommage à l’ascendant vocal de Mlle Lemière. Du reste, l’ensemble du disque privilégie l’inédit ou le rare, et des Fêtes d’Hébé, il offre de nouvelles pages taillées pour les rares capacités de Marie Fel, Iphise lors de la reprise de juin 1739.
Chantal Santon Jeffery a suffisamment de métier pour assumer pareil héritage. Aucune des pages retenues n’est extrêmement vocalisante, et l’on pourrait en citer bien d’autres plus exigeantes chez Rameau. C’est aussi et surtout dans sa capacité à aborder divers emplois que la soprano française est virtuose, dispensant avec art le tendre, le léger, le brillant ou le terrible. Les tessitures parfois tendues mettent en valeur un médium d’une belle netteté et un aigu solide qui semble s’enivrer de ses propres miroitements, dans une joliesse que l’on peut trouver ponctuellement désincarnée. L’interprète dispense néanmoins toute la délicatesse qu’appelle le programme et trouve des accents véhéments ou touchants quand il le faut : elle se montre à la hauteur en Argine, « rôle à baguette » d’Omphale. La célèbre ariette de Castor et Pollux ferme le programme, mais on peut lui préférer la gracieuse conclusion que forment ensemble « Vole, charmant amour » du Temple de la Gloire et « Charmant amour » des Caractères de la Folie. Dans ce beau disque, le brillant n’est sans doute pas le plus précieux.