Figure essentielle du quatuor, du quintette et de la musique de chambre, qu’il illustra magistralement et d’abondance, Luigi Boccherini nous lègue des œuvres vocales, sacrées comme profanes, quelque peu rejetées dans l’ombre. Pourtant, dès ses premières années italiennes, le compositeur a porté une grande attention à la musique religieuse. La réédition de ce remarquable enregistrement s’imposait donc tout particulièrement, d’autant que la série « Ricercar in Eco » se signale aussi par la modicité de son prix.
Des deux versions de ce Stabat mater, Wieland Kuijken (dont le nom – étrangement – figure sur la plaquette d’accompagnement, mais pas sur le cartonnage) a choisi la première, confiée à la seule voix de soprano et à un quintette à deux violoncelles. La seconde répartit entre trois solistes la partie vocale et ajuste les dynamiques du quintette à une dimension orchestrale. Boccherini introduit cette version révisée par une ouverture empruntée à sa symphonie opus 35 n°2 (alors inédite, 1782). Celle retenue ici commence par le larghetto du quintette opus 11 n°4 (le n°5, comportant le célèbre menuet), choix particulièrement opportun, qui affirme le fa mineur, douloureux, et permet à chacun des instruments de s’exprimer avec un lyrisme grave. L’ouvrage se signale par son caractère singulier, hybride, puisque c’est une sorte de sextuor avec voix. Il s’agit là d’une œuvre intime, à laquelle l’économie de moyens confère une force peu commune. Le « grave » introduit par le quintette permet à la soliste de déployer sa belle phrase, en parfaite harmonie avec celle de chacune des cordes. Le récitatif « Quis es homo » et les séquences instrumentales renouvellent la palette expressive. Le style concertant du « Eja mater », avec son solo de violoncelle, qui invite la soprano à une brève cadence, participe de la diversité des écritures, et plus d’une fois on pense aux Sept dernières paroles du Christ en croix de Haydn, tant le caractère et le style en sont proches. Les figuralismes discrets de la voix et du violon sur « plagas » (les plaies du Christ) du « Fac ut portem » nous rappellent que cette œuvre est à la charnière du classicisme. La variété des formes et des procédés sert à merveille ce texte éminemment dramatique et émouvant. La pureté, la fraîcheur du timbre, la souplesse et l’agilité de la voix de Sophie Karthäuser, alors à ses débuts, lui permettent de donner à cette œuvre la sensibilité, l’émotion idéales. Les Folies françoises jouent parfaitement le jeu, partenaires rêvés dans ce répertoire. Jérôme Lejeune, directeur artistique, l’avait bien compris.
Pour compléter le programme, Les Folies françoises, dont Patrick Cohën-Akenine est le premier violon et le directeur musical, interprètent un quatuor quasi contemporain, l’opus 24 n°6, en sol mineur. Comme le Stabat mater, dédié à l’infant don Luis, frère cadet du roi d’Espagne Charles IV, nous tenons là un enregistrement réellement inspiré qui mérite le détour.
Yves Gérard, le spécialiste reconnu de Boccherini dont il réalisa le catalogue des œuvres, signe une excellente notice, dense, précise et trilingue (français, anglais et allemand). On regrette seulement l’absence de traduction du texte de Jacopone da Todi. Depuis Agnès Mellon et Chiara Bianchini, en 1992, plusieurs enregistrements de ce Stabat mater ont été réalisés ; aucun ne restitue si bien sa simplicité douloureuse et tendre. Un chef d’œuvre qui mérite de figurer à côté des illustrations que, parmi tant d’autres, Pergolèse, Haydn et Rossini donnèrent de ce beau texte.