A l’écoute des premières minutes de ce disque, on croirait l’affaire entendue : Václav Jan Křtitel Tomášek (1774-1850), dont le nom fut germanisé en Johann Wenzel Tomaschek, ne serait qu’un petit maître déjà démodé en son temps, crispé sur un style mozartien depuis longtemps dépassé. On lui doit pas moins de 41 lieder sur des poèmes de Goethe, composés autour de 1815, donc à la même époque que Schubert, dont l’Erlkönig fut publié en 1813. Tomášek rencontra le poète en 1822 et interpréta pour lui quelques-unes de ses compositions ; approbateur, Goethe lui déclara notamment qu’il avait parfaitement compris le chant de Mignon, là où Beethoven et Spohr s’étaient mépris, une mélodie strophique étant nécessaire pour un personnage aussi simple que l’héroïne de Wilhelm Meister.
Cette régularité naïve était sans doute une vertu rassurante pour Goethe, mais ne serait guère de nature à retenir aujourd’hui notre attention. Elle s’avère néanmoins très rare dans les compositions de Tomášek, qui excelle au contraire dans l’art de varier les atmosphères d’un couplet à l’autre, et pour peu que l’on manifeste un tant soit peu de persévérance, ce disque révèle bientôt d’immenses beautés. Son Roi des Aulnes n’égale certes pas celui de Schubert, mais il n’est nullement indigne, et il permet à l’interprète de manifester d’égales qualités d’incarnation des différents personnages, même si l’accompagnement en est beaucoup moins complexe. Le vétéran Leopold Hager n’est jamais surmené, mais là encore, le piano de Tomášek est bien plus varié qu’on ne le pense au premier abord, et la galopade frénétique de Rastlose Liebe n’a rien à envier à d’autres lieder romantiques.
Viennoise d’adoption, hongroise de naissance – son nom de jeune fille est Szabo –, Ildikó Raimondi chante avec une délicieuse préciosité, qui rappelle parfois les exquises minauderies d’une Schwarzkopf. Marzelline pour Sir Charles Mackerras, on lui doit notamment un charmant récital d’airs d’opérettes viennoise paru en 2006. La dame n’a rien d’une gamine (elle avoue être née en 1962) ; Kämmersängerin depuis 2004, elle se partage entre l’opéra et le lied, et elle a assuré elle-même l’édition critique des Goethe Lieder du compositeur tchèque. Dotée d’un timbre infiniment attachant, elle interprète ces mélodies avec tout le talent et toute l’expérience dont elle dispose ; la voix est mûre au bon sens du terme, elle sait faire vibrer la note quand il le faut, et l’actrice n’est jamais prise au dépourvu. Tour à tour espiègle pour Heidenröslein, enjouée dans Die Spröde, mélancolique avec Schäfers Klagelied, Ildikó Raimondi nous ramène par ses qualités de diseuse et de chanteuse à un âge d’or que l’on croyait à jamais révolu.