Bellini sur instruments anciens ? L’idée n’est pas totalement inédite, Cecilia Bartoli ayant déjà eu recours à des ensembles d’époque pour sa Norma et sa Sonnambula. Mais la proposition de Fabio Biondi va beaucoup plus loin, en termes de rigueur musicologique : absence totale de vibrato aux cordes, transparence absolue, recours à un continuo systématique au pianoforte, effectif réduit à sa plus simple expression (2 violoncelles !), reprises de cabalettes ornées librement par les chanteurs … Un Bellini 100 % authentique, chimiquement pur, avec des arguments historiques en béton évoqués dans une notice passionnante, dotée de surcroît d’un graphisme où le luxe le dispute à la créativité.
La rigueur académique suffit-elle dans une œuvre aussi pétrie d’émotion que ces Capulets et Montaigus, où Bellini montre pour la première fois l’étendue de son génie ? La réponse est clairement non. Certes, l’oreille est accrochée par des détails instrumentaux : des timbales sublimes, des flûtes inhabituellement claires, une harpe délicatement mise en valeur. Mais globalement, le son apparaît étique, souvent ingrat, beaucoup trop « petit » pour un opéra qui doit prendre aux tripes et qui renonce à beaucoup de conventions belcantistes pour déjà regarder vers le romantisme. Appliquer les recettes qui ont réussi à Vivaldi ou à Pergolèse conduit à des contresens flagrants, avec une sonorité comme engoncée et des déséquilibres entre pupitres. Sans compter les problèmes techniques : on tremble plus d’une fois devant la fragilité du cor naturel, et on se demande si le clarinettiste ne va pas quitter la scène après ses couacs monumentaux au I. Pour couronner le tout, un pianoforte à la justesse aléatoire parasite l’écoute de façon permanente.
Pour contrebalancer ces faiblesses, il aurait fallu des chanteurs de premier ordre, capables de communiquer les vertiges d’écriture que l’orchestre refuse de donner. Hélas, Fabio Biondi a là aussi fait le choix des « petits formats ». Valentina Farcas dispose d’un timbre agréable, et sait orner son chant de mille nuances. Elle maîtrise aussi cet art de colorer la ligne, si essentiel dans la musique italienne du premier XIXe siècle. Mais le ton et le volume restent ceux d’une chanteuse baroque, qui ne parvient pas à habiter pleinement son rôle. Même remarque pour le Tebaldo délicatement dessiné de Davide Giusti, plein de mérite, mais qui aurait davantage sa place chez Scarlatti. Vivica Genaux déçoit cruellement. Elle aurait l’engagement et la carrure nécessaires, mais elle a été captée un jour de méforme, avec force sons tubés dans les joues et hoquets expressionnistes. Seuls Fabrizio Beggi et Ugo Guagliardo donnent pleine satisfaction, mais leurs rôles de basses sont trop courts pour sauver une distribution bien décevante. De même, le chœur Belcanto livre une prestation de premier ordre, marquée par une homogénéité de chaque instant, même lorsque les instruments dérapent.
Fabio Biondi aurait voulu faire entrer Les Capulets et les Montaigus dans l’ère des instruments anciens, mais l’entreprise est globalement un échec. Retour aux versions Muti (Warner) et Runnicles (Teldec).