Dans le sillage de l’année Beethoven, le dessinateur Régis Penet s’inspire d’un épisode fameux de la vie du compositeur pour dresser le portrait de ce farouche indépendant, rétif à toute forme d’asservissement. Cet épisode est celui de l’incident de 1806, provoqué par la volonté autoritaire de son principal mécène d’alors, le prince Karl Alois von Lichnowsky, d’obliger Beethoven à se produire en concert privé devant un parterre d’officiers français, l’armée napoléonienne occupant alors la Silésie où se trouvait le château du prince. Par son refus obstiné et son départ du château, Beethoven avait démontré que sa liberté et sa propre volonté ne pouvaient se plier à quiconque, fût-il prince, empereur, Dieu même. Le prix de cette vision si moderne de l’artiste ? La solitude et la précarité.
Régis Penet choisit de décrire cet épisode, son avant et ses après, à travers les yeux d’un enfant, le fils unique du prince, Eduard von Lichnowsky. Un enfant qui admire le musicien, qui l’écoute religieusement plus ou moins caché, qui voudrait renoncer à toutes les convenances de son rang pour le garder auprès de ses parents et qui, une fois la rupture consommée, ira, longtemps après, anonyme parmi le public du Theater am Kärntnertor, acclamer le génie prématurément vieilli le soir de la création de la Neuvième symphonie. On ne sait si le jeune Eduard a réellement vécu tout cela de cette façon, mais on sait qu’il mourra à 56 ans, comme son héros…
Le regard du dessinateur est plein d’admiration pour son sujet, cet homme farouche, cet ours des salons, comme on l’appelait parfois. Elle perce à travers chaque portrait du visage qui nous est si familier, qui prend parfois les traits creusés et farouches d’un autre génie ivre de liberté, Pier Paolo Pasolini. Le choix du noir et blanc accentue les expressions et dessine des ombres chinoises, s’attarde sur des détails, ménage de longs silences d’image, puis offre de grandes perspectives. Il y perce quelque poésie, il y passe des paysages immobiles, le temps y est comme figé, on y entend de la musique. L’ouvrage propose d’ailleurs une bande son de ses pages, avec des extraits de nombreuses œuvres de Beethoven par des interprètes très éclectiques, téléchargeables grâce à un QR-Code à la fin du livre. Dans sa préface, l’un d’entre eux, le pianiste François-Frédéric Guy, souligne combien le travail de l’auteur met en relief l’humanisme profond de Beethoven mais on ressent aussi, finalement, ce qu’a pu être l’écrasante solitude de cet homme debout. Le prix de sa liberté.
Infiniment moins outrée et provocatrice que la récente bande dessinée de Mickaël Ross sur la jeunesse de Beethoven, dont nous vous parlions dans ces colonnes, historiquement plus précise, cette BD de Régis Penet paraîtra aussi plus classique à ses lecteurs, qui trouvera dans certains dessins quelque parenté avec ceux d’un Gérald Forton, voire d’un Milo Manara par exemple. Un bel ouvrage, en tout cas.