Alors au sommet en mezzo-soprano, de par notamment son incarnation magistrale de Carmen, plus cérébrale que charnelle mais néanmoins incandescente, Béatrice Uria-Monzon a su amorcer, dans un timing parfait, une nouvelle trajectoire. Obéissant à une urgence intérieure, l’artiste a alors changé de rives pour se parer des habits vocaux de la soprano dramatique. Certains étaient dubitatifs, mais l’expérience et l’intelligence ont parlé d’une seule voix, une dynamique également portée par l’indéfectible soutien des admirateurs de la cantatrice.
Longue fut l’attente, mais le disque dont elle nous fait aujourd’hui l’offrande, son premier album solo, Assoluta, est une radiographie fidèle de ce voyage d’une vocalité à l’autre, au fil de onze airs dans lesquels l’artiste rèvéle toute l’intensité de ses couleurs italiennes. Béatrice Uria-Monzon rend ici un vibrant hommage aux figures féminines, actrices assumées de leur destin. Dans ce périple vocal semé parfois d’embûches, du Bel Canto (Norma, La Gioconda) au répertoire lyrico-spinto des héroïnes pucciennes (Tosca, Manon Lescaut) puis de là au répertoire dramatique verdien (Macbeth, La Force du destin) jusqu’au verismo (Cavalleria Rusticana), l’artiste se lance un défi qu’elle assume avec brio dans une gradation dramatique allant crescendo. Dans une diction fluidifiée, (le talon d’Achille de la chanteuse auquel elle apporte désormais plus de soin), elle projette des notes aiguës étincelantes et un torrent d’émotions qui vient de l’intérieur, donnant épaisseur et âme aux personnages qu’elle incarne. Dans le velours capiteux originel de sa voix Béatrice Uria-Monzon met ses couleurs fauves au service d’une expressivité rare. Tosca, Lady Macbeth, Santuzza étaient déjà entrées dans son répertoire scénique mais aussi Leonora, Manon Lescaut et, de manière plus surprenante Suor Angelica, Norma sont toutes, l’espace d’un air, habitées avec l’intelligence nourrie par l’expérience.
L’écoute de cet album fait écho à un un souvenir personnel de récital, un hommage rendu à Maria Callas par l’artiste en 2017 sur la scène de l’Elephant Paname (au côté d’Alain Duault, également auteur de la note de présentation de du présent album). Avec la Divina, Béatrice Uria-Monzon a comme point commun, de toute évidence, l’élégance naturelle et surtout le don chevillé au corps pour sonder en tragédienne le personnage jusqu’au tréfonds de l’âme. Dans le geste et la nuance justes, elle donne à comprendre l’essence humaine des destins qu’elle habite. Les héroïnes tragiques de Béatrice Uria-Monzon expirent dans une digne posture sans affliction, sans regret, sans lamentation. Elles affrontent le pire, avec une grandeur d’âme. Sa Tosca se jette dans le vide, mais elle le fait avec panache, car elle a l’étoffe de celles qui défient le destin. Le « Vissi d’arte, vissi d’amore » prend alors tout son sens. Sa Madeleine ainsi que sa Lady Macbeth consacrent également la tragédienne qui insuffle vie aux mots. Mais l’artiste atteint l’apogée du dire tragique avec La Gioconda et Manon Lescaut. Elle attise ici les braises d’une vie qui n’est plus que cendres. La voix est au bord des larmes, cherchant un sens à une existence qui n’en a plus, dans la tourmente des soubresauts des évènements qui font et défont les vies. Et pourtant, « Non voglio morire » chante Béatrice Uria-Monzon, héroïne au bord du précipice, comme un dernier sursaut avant l’inévitable qui puise ainsi dans l’intensité de la vie une raison encore d’espérer.
L’Orchestra della Fondazione Teatro Lirico Giuseppe Verdi et son chef Fabrizio Maria Carminati entièrement au service de l’interprète et de ses affinités électives, respire avec cette voix qui distille sa lumineuse douleur. On aurait toutefois souhaité que l’orchestre habite avec d’avantage de verve ces partitions à haute charge émotionnelle, notamment dans Verdi. Mais l’intérêt ici est la voix et la personnalité de son interprète. Béatrice Uria-Monzon n’a ici peur de rien, elle s’expose, prend des risques, elle se met à nu, elle prend l’auditeur comme témoin privilégié du destin de ces personnages tragiques auquel par l’interprétation il peut s’identifier car il n’y a ici aucune distanciation créé par le filtre de la voix. Au contraire, l’interprète se jette ici toute entière dans les flammes incandescentes des émotions humaines. « L’album est le reflet de ce que je suis à travers ces femmes » Dans cette incarnation absolue, Béatrice Uria-Monzon s’empare de son sujet avec brio.