Ce n’était pas à proprement parler un disque attendu, mais sa parution intéresse.
D’abord parce que c’est, après de longs séjours de Marc Minkowski dans des répertoires plus tardifs, le moyen de savoir ce qui, dans sa relation avec la musique baroque, a évolué, mûri, et Bach en est la pierre de touche absolue.
Ensuite parce que le chef prend le parti des pupitres à un soliste, soit dix chanteurs, solistes et ripiénistes, théorie de Rifkin longuement discutée, et finalement assez massivement rejetée, qui fait ici un retour surprenant.
Une première audition fait apparaître une interprétation infiniment aimable.
Les chanteurs sont remarquables. Tous semblent posséder à fond l’art de la haute école germanique dans la sobriété du ton et la fermeté de l’expression. Traités par le chef avec un soin particulier, ces chanteurs font entendre la moindre découpe de la ligne vocale, que le dispositif du chœur souvent dilue ou rogne. Il faut plier genou devant l’Agnus Dei de Nathalie Stutzmann. Et se laisser conquérir par le Quoniam de Luca Tittolo. Mais les autres distillent une grâce et une tenue absolument louables.
Ces voix ont été choisies pour le contraste des timbres, leur équilibre. Que l’on écoute Et incarnatus est pour entendre leur admirable entrelacs. Et qu’on écoute le début du Credo pour se convaincre de la puissance que peut acquérir un ensemble restreint pour peu que la ferveur et l’implication se substituent à la masse et au volume.
Le pari de chanteurs solistes est, avec de telles voix, assez vite gagné – d’autant que le geste du chef leur permet de faire valoir leurs qualités et leur résonance propre, sans assèchement ni surenchère d’ascèse vocale.
A cet égard, on est proche d’une version romantique façon Schreier (Berlin Classics) ou Klemperer (EMI) et très loin des solistes réfrigérants de Suzuki ou des voix parfois mal assurées de Harnoncourt I.
En outre, dans les mouvements les plus exultants, on reconnaît cette capacité du chef à galvaniser son monde, à atteindre l’extrême limite du tempo soutenable pour chauffer à blanc ses forces et en tirer une sorte d’exaspération éréthique (Et expecto), avec force éclat de cuivres.
Et l’on est content.
Passé cette séduction, qui persistera concernant les chanteurs, il faut déchanter quelque peu. Et écouter non pas seulement les voix, mais l’orchestre, son discours, ses articulations, ses phrasés.
Voilà où commence l’incompréhension. Svelte et efficient en maint endroit, le chef semble étrangement atone et brouillon dans maint autre – hélas, non dans maint autre : dans la totalité des autres !
Il n’est qu’à choisir : tout le Credo, affligé d’une battue sans ordre, d’un phrasé confus, de timbres orchestraux mats, d’une pulsation sans caractère. Vocalement superbe, l’Et in unum Deum est orchestralement atone, minimal.
Le Crucifixus n’est pas seulement pudique, encore moins franciscain, ou émacié. Il est simplement démembré par une accentuation basique et une décomposition presque complète du tissu orchestral.
Les exemples ne manquent pas : et ce qui, dans les pièces de la messe proprement catholique est déconcertant et étrange, est simplement désastreux dans le Kyrie et le Gloria, où l’on n’entend aucune orientation claire, aucun choix esthétique. La comparaison est cruelle avec le galbe d’un Jacobs, avec la ferveur prenante de Harnoncourt I, avec la délicatesse certes frigide mais impeccable de Suzuki, avec la profondeur de Schreier, avec l’ampleur (étouffante souvent) de Klemperer ou même avec la coloration douce de Bernius. On retrouve plutôt ici l’atonie un peu mécanique de Gardiner, mais encore y avait-il chez Gardiner une dynamique du discours, totalement absente ici.
Pudeur ? Retenue ? Révérence devant l’œuvre ? Ou simplement incertitude ? Refus de choisir ? Hésitation stylistique ? On ne sait.
Ce qui est sûr, c’est que la Messe en Si ne saurait se contenter de telles demi-mesures.
Sylvain Fort