Après avoir composé son premier opéra en 1780, à vingt ans, Cherubini reçut plusieurs commandes, dont celles d’Armida Abbondonata et de Mesenzio, re d’Etruria, tous deux créés à Florence. En 1784, le jeune compositeur partit pour Londres, où il donna un autre opera séria, Il Giulio Sabino. Déçu par l’Angleterre, il revient en Italie, et c’est à Turin qu’est créé Ifigenia in Aulide. Fin de l’errance avec Paris, où Démophoon est monté à la fin de la même année, sans grand succès ; pour Rosa Baletti, il composera différents airs, dont deux sont enregistrés ici. Autrement dit, ce disque nous montre de quoi était capable Cherubini avant de connaître la gloire en 1791 grâce à sa Lodoïska, puis surtout en 1797 avec Médée.
Sous la direction frémissante de son chef Carlo Ipata, l’ensemble toscan Auser Musici nous donne à entendre une musique qui ressemble à celle du dernier Mozart : le son paraît souvent un peu mince, un peu vert, comme si l’orchestre n’était pas tout à fait assez fourni pour rendre justice à cette écriture. Cette légèreté excessive, on pourrait également la reprocher à la chanteuse avec laquelle les instrumentistes partagent ce disque, qui n’a pas volé son titre (avec vingt-cinq minutes d’orchestre contre trente-cinq minutes de chant, les ouverture et sinfonie font presque jeu égal avec les arias). La voix de Maria Grazia Schiavo est agile, la virtuosité étant une qualité indispensable pour ce répertoire où les vocalises s’enchaînent sans relâche : « D’un dolce ardor » flirte avec les piqués de la Reine de la nuit, « I mesti affetti miei » inclut le genre de cascades de notes qu’on a coutume d’extrapoler dans l’air d’Olympia des Contes d’Hoffmann. Tous ces suraigus sont émis sans peine, mais non sans une certaine acidité. En scène, la chanteuse ne manque pas d’emporter l’adhésion, par sa prestance comme par son tempérament dramatique, comme les spectateurs parisiens ont eu à plusieurs reprises l’occasion de le constater ; au disque, les yeux de l’auditeur ne peuvent influencer ses oreilles lorsque celles-ci ne sont pas aussi flattées qu’elles pourraient l’être.
Peut-être aurait-il été judicieux de laisser la soprano s’exprimer dans un autre registre que celui de la haute voltige. Même séparés par des pauses, tous ces airs de bravoure finissent par se ressembler, et il aurait mieux valu, pour la chanteuse comme pour l’auditeur, intercaler quelques morceaux moins virtuoses, où l’expression des affects soit un peu moins acrobatique. Après tout, ce n’est pas dans ce domaine que Cherubini allait trouver le succès, sans doute parce que sa vraie voix l’entraînait ailleurs, contribuant à l’évolution de l’opéra en l’éloignant de la vocalité italienne pour développer au contraire l’urlo francese tel qu’il brille de mille feux dans Médée.