L’esquisse biographique proposée en 2006 par Ian Jack, chez le même éditeur,a engendré une suite sous le scalpel de son traducteur. Écrit à partir de témoignages, d’anecdotes et de nombreuses lettres intimes, Klever Kaff, Kathleen Ferrier faisait revivre l’attachante personnalité de la cantatrice morte à quarante et un ans, après une carrière fulgurante. Selon son fidèle partenaire en musique, Bruno Walter, « quiconque l’écoutait, ou la rencontrait, se sentait plus riche et inspiré » tandis que son infirmière, elle, la décrivait comme « une personne extraordinaire et ordinaire » à la fois.
Quant à Boris Terk, orthodontiste de profession — à l’instar de Cuvier qui reconstituait un animal à partir d’une dent — il s’est demandé s’il était possible de restituer un être humain à partir de sa voix enregistrée. Pari intenable évidemment.
Dans cet opuscule de quatre-vingts pages, l’auteur ne se contente pas de décrire ce qui, au-delà des cordes vocales, constitue l’instrument dont disposait Kathleen Ferrier. Il fait l’inventaire de ses caractéristiques anatomiques : longueur de son cou, taille de sa cavité buccale, dimension de ses maxillaires… Il étudie la morphologie du visage, la façon de se tenir. Il va jusqu’à fournir au lecteur une grille de qualification de la qualité vocale établie par un groupe de recherche multidisciplinaire1 auquel il a participé.
Boris Terk parvient facilement à faire comprendre que ce qui est vrai pour tout instrument de musique l’est également pour le corps d’une chanteuse qui sonne comme un Stradivarius : « Tout vibre en elle, le son monte du diaphragme au larynx, la gorge, les cavités de la face, les lèvres, il fait résonner le squelette. » Cependant pour dépeindre ce qui rend l’interprète unique, il lui faut à chaque page revenir sur l’immatériel ; il lui faut évoquer la jeune femme à la gaîté rabelaisienne qui se voyait elle-même comme « un loup solitaire » et dont le chant seul révélait la richesse de la vie intérieure à travers une voix hypnotique.
Quant à la tentative initiale de l’auteur, elle s’achève sur un aveu d’impuissance. « Dans sa voix s’entend maintenant l’absence. […] La reconstitution est un leurre. » Mais, pour nous amoureux de la voix, le plus grand mérite de ce joli petit livre qui prolonge et complète le texte qui l’a inspiré, dans une présentation harmonisée, c’est de nous donner une irrésistible envie d’écouter ou de réécouter les émouvants enregistrements de Kathleen Ferrier. Plus de cinquante ans après sa mort, devenus libres de droits, on nous dit qu’ils sont de plus en plus nombreux dans les bacs.
Brigitte Cormier
1 Chanteurs, professeurs de chant, acousticiens, phoniatres et orthophonistes