Ian Bostridge n’est pas un ténor comme les autres. Sous son allure de Lord anglais brille un historien formé à Oxford et à Cambridge : ses passions, il les chante, et il en fait des livres. Schubert’s Journey : Anatomy of an Obsession, son dernier ouvrage paru en 2014, raconte sa passion première, immuable, pour Schubert, et qui l’accompagne depuis ses débuts de jeune chanteur. Ainsi le travail de recherche, l’approfondissement du texte et de la musique précèdent et façonnent chacune de ses interprétations. Et ce qui est extrêmement plaisant, pour celui qui l’écoute, c’est que cela se sent.
Amoureux transi de la poésie romantique allemande, admirateur de l’illustre Dietrich Fischer-Dieskau, Ian Bostridge est passé maître dans l’interprétation du lied auquel cette collection Autograph consacre au moins deux disques. Si l’on a tendance à préférer le Winterreise de Schubert et les Dichterliebe de Schumann en voix de baryton, il se révèle toujours chez le ténor une intelligence fulgurante du texte et du contexte qui nous saisit dans l’instant. Sur ses lèvres, l’allemand est incisif, élégant même, et les poèmes se déclament et se murmurent tour à tour comme des contes : l’histoire d’Erlkönig qui ouvre le premier disque n’effraie pas tant par la profondeur de la tessiture que par l’écrasante fatalité du discours du Roi des aulnes. Et dans cet engagement prodigieux, Ian Bostridge emmène avec lui des accompagnateurs hors pairs tels que Antonio Pappano, Julius Drake ou encore Leiv Ove Andsnes, avec qui se noue un dialogue d’une fluidité confondante.
N’était l’éclectisme présenté par ce coffret, on aurait pu penser que Ian Bostridge était sur une niche. Son activité artistique récente, presque exclusivement tournée vers des récitals de lieder et la publication de livres nous faisait presque oublier l’existence d’un répertoire d’une grande diversité d’époques et de styles. Quoiqu’extrêmement consciencieux et exigeant dans ses choix, deux disques consacrés aux répertoires baroque et classique nous permettent d’apprécier la distinction et la virtuosité technique de son chant lunaire, en particulier dans « Dopo notte, atra e funesta » extrait d’Ariodante de Handel, malgré une tessiture certes un peu grave. Mais Ian Bostridge sait quitter la préciosité et le plaisir délicat lorsqu’il embrasse le répertoire contemporain. Sa maîtrise et son impudeur salutaire font de lui un grand interprète de Britten et de Adès, qui composa pour lui le rôle de Caliban dans son opéra The Tempest, adapté de la pièce de Shakespeare, et poussant parfois la voix du ténor dans ses retranchements.
Mais lui qui affectionne tant les correspondances entre littérature et musique, que n’a-t-il chanté et enregistré de la musique française, qui seule fait défaut dans ce magnifique paysage ? L’interview-portrait du ténor anglais ne répond pas à cette interrogation. Elle n’en constitue pas moins une promenade passionnante autour des œuvres marquantes de son répertoire et des grands textes littéraires desquels elles ont émergé.
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